Fuis, tais-toi et garde le recueillement
Abba Arsène, vivant au palais, pria Dieu en ces termes : « Seigneur, conduis-moi sur la voie du salut » et une voix vint lui dire : « Arsène, fuis les hommes et tu seras sauvé ». Le même s’étant retiré dans la vie solitaire fit à nouveau la même prière et il entendit une voix lui dire : « Arsène, fuis, tais-toi, garde le recueillement : ce sont là les racines de l’impeccabilité » (« Abba, dis-moi une parole », Ed. de Solesmes, 1-2, p. 13). Fuir les hommes, se taire, garder le recueillement sont les trois degrés de l’hésychia. Cette ascension est-elle possible sans se retirer au désert et y vivre la solitude ? Pouvons-nous l’envisager en-dehors de l’engagement monastique ?
6. De l’écoute au silence – la joie de la rencontre
Nous pouvons voir ici combien il est important pour l’homme d’aujourd’hui de redécouvrir le sens de l’exercice au quotidien comme éveil de sa profondeur.
Face au monde où règne le surmenage, le stress, l’anxiété, où nous sommes soumis à de multiples sollicitations, il devient de plus en plus nécessaire d’apprendre à « ramener l’intelligence éparpillée au dehors vers le dedans », à s’unifier dans le geste simple mais habité consciemment.
Apprendre à se garder au-dedans, loin de la distraction, revenir sans cesse à l’essentiel, veillant à ne pas se laisser emporter par les préoccupations, les soucis qui sont sans cesse remâchés ou par la tentation de fuir le réel par l’imaginaire.
La pratique du geste conscient est devenue une méthode thérapeutique. Elle est le support évident de toutes les spiritualités. Goûter l’instant présent.
Cette voie est accessible à tous, toujours et partout. Elle fait du quotidien un lieu d’exercice, une occasion de croissance, une possibilité toujours offerte de s’éveiller à sa Présence, de se souvenir de Dieu.
Car l’attention ne se limite pas à l’observation des faits, à la perception du visible, de l’audible, du palpable mais elle est ouverture à ce qui est signifié dans les événements du quotidien. L’écoute permet la relation et l’accueil de l’autre.
L’Être se propose à chaque instant, il m’invite à sortir de mon aveuglement, de mon enfermement dans mes problèmes et mes soucis, de mon aliénation au circonstanciel et à m’ouvrir avec émerveillement aux êtres et aux choses, comme autant de paroles qui me sont adressées.
Notre véritable mission est d’entrer en relation en cessant de nous détourner de ce qui, du plus profond de nous-même attire notre cœur. « Être dans ce monde et non pas de ce monde ».
La rencontre est toujours source de joie. S’émerveiller de la rencontre nous fait goûter à la beauté de la vie. La visée est de tout réintroduire dans la relation et le dialogue. La mort n’est-elle pas une rupture de la relation. Vivre le monde en tant qu’univers clos nous livre à la mort.
Ainsi, la vigilance est l’état de l’homme qui s’ouvre par le visible, par l’autre, à la Présence du Tout-Autre. Par la vigilance il devient sensible à la « Gloire de Dieu cachée dans les êtres et les choses », au silence qui enveloppe chaque créature.
Il nous est dit qu’Arsène « avançait dans la nuit comme s’il voyait l’invisible ». Cette écoute vigilante est déjà prière, elle nous introduit dans la relation à Dieu en rendant attentif aux interventions divines dans notre vie : « Mon âme, bénis le Seigneur et n’oublie aucun de ses bienfaits » (Ps. 103, 2). Être attentif à ce que Dieu opère en moi et pour moi m’ouvre à l’expérience de la rencontre.
« La prière, nous dit saint Grégoire le Sinaïte, c’est Dieu qui met en œuvre toutes choses dans les hommes ». Donc, « la prière ce n’est pas d’abord quelque chose que je fais mais Dieu qui agit en moi… « pas moi mais le Christ en moi » (Gal. 2, 20) », témoigne l’évêque Kallistos Ware.
Faire taire le moi et écouter le Maître : « Faites silence et sachez que je suis Dieu » (Ps.46, 11). Se taire et se rendre disponible sont les clés qui ouvrent vers « l’abîme de silence » dont parlait saint Ignace d’Antioche. « Le Logos sort du Silence et retourne au Silence ».
Le silence est un état de communion, de « participation à la nature divine » (II Pierre 1, 4) qui est le but de tout chemin chrétien. Il vient de Dieu. Il est le signe que je suis passé « de ma prière à celle du Christ en moi ». Le silence est un don que Dieu accorde à l’homme qui est mort à lui-même.