Fuis, tais-toi et garde le recueillement
Abba Arsène, vivant au palais, pria Dieu en ces termes : « Seigneur, conduis-moi sur la voie du salut » et une voix vint lui dire : « Arsène, fuis les hommes et tu seras sauvé ». Le même s’étant retiré dans la vie solitaire fit à nouveau la même prière et il entendit une voix lui dire : « Arsène, fuis, tais-toi, garde le recueillement : ce sont là les racines de l’impeccabilité » (« Abba, dis-moi une parole », Ed. de Solesmes, 1-2, p. 13). Fuir les hommes, se taire, garder le recueillement sont les trois degrés de l’hésychia. Cette ascension est-elle possible sans se retirer au désert et y vivre la solitude ? Pouvons-nous l’envisager en-dehors de l’engagement monastique ?
5. De l’écoute au silence – la vigilance
Ainsi, les anciens n’ont jamais pensé que l’homme puisse atteindre à une pleine maturité spirituelle, à la communion avec le Vivant, sans la nepsis ou sobriété-vigilance.
La vigilance est le remède à la négligence, à l’oisiveté. Le mot grec traduit par vigilance est aletheia. Sa signification littérale est non-léthargie, non-oubli mais aussi vérité.
Ainsi être en vérité, c’est sortir de l’état de léthargie, d’oubli, état de sommeil ou de torpeur qui est la proie de tous les fantasmes et des délires imaginaires : « Réveille-toi, toi qui dors, réveille-toi d’entre les morts et le Christ t’éclairera » (Éphés. 5, 14).
Les morts sont ici ceux qui sont immergés dans la survie existentielle, qui s’asphyxient par l’oubli de la relation au Vivant. Il nous faut vaincre le sommeil du monde, devenir pleinement participant à la vie qui circule en nous.
La Tradition ascétique associe la quête du silence intérieur, de la paix du cœur, à la nepsis qui est la clef de tout chemin spirituel. Celle-ci permet “l’éveil hors du somnambulisme quotidien” et nous ouvre la porte vers la pleine réalisation de nos potentialités. Tout commence par la vigilance qui est la condition de l’éveil. Elle nous permet de développer l’attitude qui favorise l’expérience intérieure. L’attention à ce qui est mène sur la voie du devenir conscient.
Son début est l’attention corporelle qui s’exerce dans le quotidien. Apprendre à habiter chaque geste, à s’impliquer dans chaque acte, à être présent à ce que l’on fait dans la conscience de sa manière d’être là, est la première étape.
Saint Jean Climaque, moine du VIe siècle qui vivait au pied du mont Sinaï, nous fait remarquer que « chez les débutants, l’esprit se conforme au corps ».
Ainsi, s’appliquer attentivement à une tâche permet tout d’abord de bien réaliser ce qui est entrepris mais surtout permet de trouver l’unité intérieure et la paix en soi.
L’attention libère des pensées et permet de passer de la dispersion à la focalisation de tout l’être, corps, âme, esprit. Les anciens recommandaient de ne faire qu’une chose à la fois et de s’y appliquer jusqu’au bout. Cette attitude introduit à la méditation puis à la prière. Elle nous ramène vers l’unique nécessaire.