Le pardon : pour rompre avec une logique meurtrière
Notre civilisation et bien d’autres avant nous, ont été fondées sur le meurtre. Qu’il nous suffise de rappeler la civilisation égyptienne, l’empire romain, l’empire mongol,…et tous les génocides qui ont eu lieu dans l’histoire.
La logique meurtrière est à l’oeuvre partout, elle éclabousse nos écrans de télévision, nos journaux à tel point qu’elle fait partie de notre univers et alimente la violence et la haine en permanence. Sans cesse il nous est montré combien la violence engendre la violence par la force du mimétisme. La loi de la répétition est à l’oeuvre sans que l’on puisse lui entrevoir un terme.
Est-il possible de briser la logique meurtrière, de rompre avec la fascination du mal, avec l’enchaînement et le déchaînement de la violence ? Est-il possible de sortir de la répétition et de l’inertie du passé, des mécanismes inconscients mis en place par l’enfant blessé qui est en chacun de nous ?
Père Philippe Dautais
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3. Le sentiment d’injustice engendre la violence
Ce récit éclaire d’une manière particulière l’attitude de l’homme face au sentiment d’injustice. Comme Caïn, sous l’effet de l’offense, nous pouvons être livrés à la tentation de l’irritation puis de la révolte qui va s’exprimer par le ressentiment, la rancune.
Nourrir le ressentiment conduit dangereusement vers l’esprit de vengeance. S’y livrer, non seulement fait perdre la paix intérieure mais alimente la haine contre le frère au point de désirer lui nuire. Le maugrément intérieur pousse à « faire le mal que nous ne voulons pas faire » (Rom. 7/19).
La rancune puis l’esprit de vengeance entraînent dans une spirale de destruction qui peut aussi s’exprimer dans la médisance et la calomnie. Celles-ci peuvent détruire, en quelques jours, une réalisation qui aura exigé dix ans de travail, ruiner un statut social et accabler à tel point la victime qu’elle ne puisse trouver d’autre issue que la dépression ou le suicide. Ainsi, la réaction à l’offense peut amener une surenchère de la violence et conduire à une logique meurtrière. L’épisode de Caïn et Abel est éloquent à cet égard.
En tout cela, il semble bien que l’être humain demeure dans la certitude issue de l’enfance selon laquelle tout lui est dû. D’où l’esprit de revendication, d’insatisfaction chronique, de faire valoir ses droits.
Le mythe de Caïn nous montre que l’attitude ego-centrée provoque la violence et rend aveugle par rapport aux dons reçus. Caïn réclame de Dieu d’être justifié dans son offrande, que Dieu se conforme à son sens de la justice. Or les voies de Dieu ne sont pas les voies des hommes. Caïn est invité à relever la tête, à se mettre à l’écoute de la pédagogie divine pour une transformation et une purification du c?ur, pour un chemin de croissance.
Il semble bien que la violence contre l’autre soit l’expression d’une non acceptation d’un chemin de croissance. La violence du désir qui ne serait pas investi en Dieu dans la conquête du Royaume se retournerait contre l’autre. Caïn va se venger de Dieu sur son frère. La violence contre le frère serait une violence contre Dieu qui ferait du frère le bouc émissaire.
Les pères de l’Eglise n’ont pas hésité à identifier le Christ à Abel. Le Christ s’est fait Abel, Il a accepté librement d’être la victime de la vengeance de l’homme contre Dieu pour manifester l’amour de Dieu par cette offrande volontaire et réconcilier ainsi les hommes avec le Père.
Il est à remarquer que l’on trouve toujours des justifications à la vengeance, qu’il y a toujours de bonnes raisons de vouloir se défendre, se faire justice. Se justifier, c’est prendre la place du Juste.
Cependant la justification empêche de prendre conscience de sa responsabilité et des mécanismes mortifères qui sont à l’?uvre en nous de façon inconsciente. Le mode de la justification est un rejet de la responsabilité sur l’autre et un refus de la remise en question : « c’est de la faute de l’autre ».
Bien souvent même, l’offenseur ne veut pas reconnaître le préjudice qu’il inflige à autrui et de ce fait lui fait porter le fardeau supplémentaire de la culpabilité.
L’offensé peut ainsi être conduit à porter une ou plusieurs blessures qui ne peuvent être nommées car non reconnues par l’offenseur. Il peut être amené à considérer les préjudices comme légitimes et à se sentir fautif. L’offensé va nourrir alors une fausse culpabilité qui le fera entrer dans un mimétisme du mal au point de reproduire involontairement sur l’autre des actes subis.
C’est ainsi que celui qui humilie a été humilié, celui qui vole a été volé, celui qui viole a été violé et celui qui maltraite a été maltraité. Freud affirmait que la pulsion de mort est plus forte que la pulsion de vie. Dans les dossiers de la maltraitance, il est bien souligné que les parents maltraitants ont pour la plupart eu une enfance douloureuse. « Tous les adultes maltraitants que je rencontre ont vécu des enfances très douloureuses » affirme Pierre Lassus (La Vie n°2724).