Le pardon : pour rompre avec une logique meurtrière
Notre civilisation et bien d’autres avant nous, ont été fondées sur le meurtre. Qu’il nous suffise de rappeler la civilisation égyptienne, l’empire romain, l’empire mongol,…et tous les génocides qui ont eu lieu dans l’histoire.
La logique meurtrière est à l’oeuvre partout, elle éclabousse nos écrans de télévision, nos journaux à tel point qu’elle fait partie de notre univers et alimente la violence et la haine en permanence. Sans cesse il nous est montré combien la violence engendre la violence par la force du mimétisme. La loi de la répétition est à l’oeuvre sans que l’on puisse lui entrevoir un terme.
Est-il possible de briser la logique meurtrière, de rompre avec la fascination du mal, avec l’enchaînement et le déchaînement de la violence ? Est-il possible de sortir de la répétition et de l’inertie du passé, des mécanismes inconscients mis en place par l’enfant blessé qui est en chacun de nous ?
Père Philippe Dautais
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1. L’homme blessé
L’homme est un être de désir qui aspire à la paix, à la joie, au bonheur.
Que désire l’homme sinon d’aimer et d’être aimé, de vivre la béatitude de la réciprocité dans l’amour. Le désir fait de lui un être en marche qui ne peut connaître le repos tant qu’il n’a pas étanché sa soif d’amour. Cette soif est une soif infinie que le fini ne peut combler car le désir est fondamentalement un désir d’être, une capacité illimitée de Dieu, de l’absolu.
« Le comble du désir, selon Saint Grégoire de Nysse, est de devenir dieu ». Dans l’expérience existentielle, cette aspiration se heurte aux limites des êtres humains. Quand un enfant vient au monde, il est totalement livré à l’attention de ses parents, il ne peut pas demeurer en vie par lui-même, il est totalement dépendant. Il est incapable de survivre un seul jour s’il n’est pas nourri, vêtu, protégé, s’il ne reçoit pas d’affection.
Ce faisant, il est un appel à l’amour qu’il vient susciter et réveiller dans le coeur de sa maman et de son papa. Appel qui attend une réponse fidèle car l’enfant attend tout de ses parents, il aspire de manière naturelle à être comblé dans son attente, à être accueilli dans ce qu’il donne. S’il ne l’est pas, il va être blessé.
L’expérience sensible est parsemée de blessures. Autant que mes parents aient pu être disponibles, attentifs, aimants, ils n’ont pu répondre pleinement à mes appels car ils sont des êtres ayant leurs limites.
Je peux repérer de nombreux exemples dans mon enfance où mes parents, mes proches n’ont pas répondu à mon appel ou l’ont fait par une parole, un geste maladroit voire réactifs. J’ai attendu de l’autre ce qu’il n’a pu me donner. Ces manques sont des trous d’amour qui m’ont blessé. Au cours de l’existence, combien de fois ces plaies furent ravivées dans la relation aux proches.
Toutes les considérations sur mes parents, mon conjoint, mes amis… ne m’enlèvent pas ce que je ressens comme un manque d’amour, un sentiment d’abandon, une déchirure entre mon aspiration et le réel qui définissent la blessure. Force est de constater que la blessure est inévitable, qu’elle fait partie de nos vies.
Des blessures répétées peuvent avoir fait naître en moi le doute sur l’amour de mes parents. Peuvent surgir des interrogations qui viennent troubler mon coeur : « est-ce que je suis vraiment aimé ? est-ce que j’ai vraiment été désiré ? est-ce que je suis vraiment accepté ? Ce doute exprime une rupture de confiance qui va m’obliger à devoir me protéger, à prendre de la distance et vivre la souffrance de la rupture d’amour : « je ne peux plus m’appuyer sur l’amour de mes parents. Je dois me préserver ».
Tout cela montre que là où il y a blessure va naître la peur d’être encore blessé dans la relation, la peur de vivre ce que j’ai déjà vécu. D’où les sentiments d’angoisse, d’insécurité qui vont favoriser la mise en place d’un système de défense, de stratégies de protection pour atténuer voire éviter la souffrance face à l’autre vécu comme agresseur potentiel. La plupart du temps ces mécanismes sont mis en place de manière inconsciente et agissent sans que l’on puisse les contrôler.
On peut ainsi constater des comportements répétitifs liés à des blessures qui ont été occultées mais ont provoqué des effets durables. Sans qu’il y ait un mouvement de la volonté, la personne va développer des attitudes réflexes de défense. La rupture de la relation de confiance entraîne donc la logique du rapport de forces où chacun s’arme pour se protéger.
Il apparaît de manière évidente que plus un être est blessé, plus la blessure est profonde, plus il va développer de l’agressivité. C’est dire qu’au fond il se sent menacé, il ressent sa vulnérabilité qu’il doit protéger face à l’agression du monde. La violence apparaît le plus souvent quand l’être est en situation de précarité.
De là toutes les recherches de sécurité que chacun peut mettre en place pour pouvoir survivre. Celles-ci sont l’expression de différentes compensations que l’on s’octroie comme autant de justifications inconscientes du manque d’amour fondamental. Plus l’être humain cherchera à combler son manque par un système de compensations, par de l’avoir, plus il voudra assouvir son désir par des objets de convoitises pour satisfaire un plaisir immédiat, plus il ressentira une insatisfaction chronique et plus s’accentuera la spirale de la souffrance, de l’angoisse, de l’anxiété et de la culpabilité. L’agressivité croissante va soit être tournée contre l’autre considéré comme le responsable de cet enchaînement, soit contre soi-même dans le découragement et la dépression.
Ne se sentant pas aimée, la personne blessée cherchera à attirer le regard soit par provocation soit en essayant de se rendre aimable pour se sentir exister aux yeux des autres. Le besoin d’être considéré, reconnu, accepté par l’autre habite le coeur d’enfant de chacun.