L’attention
Etre attentif, telle est l’attitude fondamentale du disciple et de tous ceux qui sont en quête de l’Essentiel, en quête de Dieu. L’attention est la condition de l’éveil et le mode qui permet d’accéder à la connaissance et au discernement. Elle est la racine de toute vie spirituelle. L’attention est pour ceux qui s’y exercent un art de vivre, une manière d’être, un mode de relation à la vie même. Il convient donc de s’y appliquer de tout son c?ur, surtout en un temps où tout porte à la distraction et à la dispersion.
Père Philippe Dautais
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8. L’écoute
L’attention est l’exercice de l’écoute avant de devenir vision. L’attitude du disciple est toute entière dans l’écoute et l’attention. Elles installent en lui le silence. On ne peut penser et écouter. L’écoute n’est écoute que si elle est virginale. Elle est don de soi et gratuité, donc elle n’impose rien, ne suppose rien, n’exclut rien, elle est disponibilité. Dans la relation à l’autre, l’écoute est relative à la capacité d’accueillir le désir d’être de celui qui vient à moi. Elle est écoute du coeur au coeur de l’autre.
L’exercice de l’écoute ouvre sur les dimensions de la profondeur de l’être. Cette ouverture est rendue possible grâce à la relation de confiance que suppose la parole. On ne se confie pas à quelqu’un en qui l’on ne fait pas confiance. Ainsi, la parole donnée est donnée en toute confiance. Ecouter, c’est accueillir la personne qui se dit avec confiance. Ecouter c’est aimer, c’est considérer l’autre, lui donner sa place et l’autoriser à être lui-même.
Dans l’exercice de l’écoute, il est essentiel de ne pas s’arrêter à ce que l’autre dit, pour ne pas réduire l’autre à ce qu’il exprime. Le jugement, les a-priori, les critères de tous ordres sont autant d’obstacles à l’écoute. Ils enferment la personne dans sa problématique existentielle, dans sa souffrance et l’empêche d’accéder à son être profond.
Ecouter la souffrance de l’autre le laisse dans sa souffrance. Le plus important n’est pas la souffrance, ni le malaise, ni les difficultés mais la personne qui les vit. Aussi l’attention doit se porter sur la personne qui souffre. Cette personne est un mystère appelé à se révéler. L’écoute n’est thérapeutique que si l’attention est portée sur l’être et non sur les symptômes qui sont là. L’écoutant est là pour révéler ce que l’écouté ne voit pas encore ou n’entend pas encore.
Dans les sphères religieuses et thérapeutiques, cette dimension est essentielle. Les dispositions intérieures du confesseur et du thérapeute ont leur importance. Pour le confesseur, la personne qui vient à lui est avant tout un enfant de Dieu qui vient demander pardon pour ses péchés et désire se réconcilier avec Dieu et avec lui-même. Pour le thérapeute, il s’agit d’accueillir une personne et de l’accompagner dans son chemin de vie.
Une psychanalyste me racontait qu’elle avait accueilli pendant trois ans une personne qui venait lui déverser tous ses malheurs, ses révoltes, sa souffrance. Cette psychanalyste était sur le point de mettre un terme à ce processus lorsqu’elle eut l’intuition de fixer son regard sur la personne et de ne plus écouter ce qu’elle disait. Au bout de quelques séances, cette patiente arrêta la thérapie. Quelques mois plus tard, elle revint voir la thérapeute totalement transformée.
Nous pourrions comparer l’écoutant à un sculpteur qui voit dans la matière brute l’?uvre finale qui est déjà là. L’essentiel n’est pas dans les copeaux. Il est dans la beauté d’âme qui est inscrite au coeur de chacun. Il n’y a pas de gens méchants ou mauvais mais des personnes qui souffrent. L’homme attentif ne s’arrête pas aux apparences mais perçoit l’être au-delà de ses manifestations existentielles auxquelles il ne l’identifie pas. Voir la personne, c’est lui permettre d’exister.
Je viens en ce sens de recevoir le témoignage d’une petite fille de 11 ans qui a trois soeurs plus âgées qu’elle. Elle est revenue cet été d’un camp de vacances totalement transformée en clamant : « Noémie a été accueillie et acceptée comme Noémie ». Etre attentif à l’autre en tant que personne. La personne nous ouvre sur le mystère de Dieu au coeur de chacun et au coeur du monde. La pratique de la prière de Jésus et l’exercice de la nepsis sont les voies royales dont témoigne toute la tradition philocalique pour nous conduire dans ce chemin. Elles répondent à l’appel du Christ : « veillez et priez ».