L Attention4

Sainte Croix centre d'étude et de prière orthodoxe

L’attention

Etre attentif, telle est l’attitude fondamentale du disciple et de tous ceux qui sont en quête de l’Essentiel, en quête de Dieu. L’attention est la condition de l’éveil et le mode qui permet d’accéder à la connaissance et au discernement. Elle est la racine de toute vie spirituelle. L’attention est pour ceux qui s’y exercent un art de vivre, une manière d’être, un mode de relation à la vie même. Il convient donc de s’y appliquer de tout son c?ur, surtout en un temps où tout porte à la distraction et à la dispersion.
Père Philippe Dautais

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4. Prendre de la hauteur

De même qu’en montagne, celui qui s’est assis à une certaine altitude n’est pas troublé par les bruits et l’agitation de la ville, de même celui qui est entré dans les profondeurs de son coeur n’est plus perturbé par les soucis et l’agitation du monde. Dans ce sens, les Evangiles nous rapportent que le Christ montait sur la montagne pour prier.

Ainsi, celui qui veut exercer la vigilance doit d’abord s’installer sur la hauteur et de là, observer les mouvements de son âme selon ce qu’enseigne Saint Jean Climaque (VIIe siècle) : « Installe-toi sur une hauteur et surveille toi toi-même si toutefois tu sais le faire ; tu verras alors comment les voleurs entrent pour dérober les grappes de raisin, quand ils le font, d’où ils viennent, combien et de quelle sorte ils sont ».(2)

Saint Jean Climaque et les Pères du Sinaï estimaient que les pensées génèrent les paroles et les actes ou que « l’usage erroné des choses suivait l’usage erroné des pensées ».
Ainsi, convient-il de résister à l’assaut des pensées pour rester maître de soi-même et acquérir la sainte sobriété qui est à la racine de la paix intérieure ou hésychia. Les anciens appelaient la nepsis, l’hésychia du coeur.

Etre sobre, selon les Pères, signifie que l’on ne laisse pas son coeur s’attacher à quoi que ce soit sinon à Dieu. Etre sobre, c’est refuser de se laisser enfermer ou aliéner par les pensées, par les passions puis par les événements. Ceci dans le but de se rendre disponible pour Dieu, pour accueillir Sa volonté et entrer dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Le chemin de libération commence par un processus de désidentification.

Pour cela, il est essentiel d’apprendre à discerner les différents plans de l’existence, à sortir de la confusion pour que peu à peu, puisse émerger la personne dans son intégrité.
Nicetas Stéthatos, père de l’Eglise du XIème siècle, disciple de Saint Syméon le Nouveau théologien, pose avec clarté cette distinction : « ce que je suis moi-même n’est pas absolument ce qui est en moi. Et ce qui est en moi n’est pas ce qui est autour de moi. Et ce qui est autour de moi n’est pas ce qui est en dehors de moi. Mais, autres sont les premières choses, autres les secondes, autres les troisièmes. Je suis moi-même image de Dieu… ».(3)

Prendre de la hauteur me permet de faire la distinction entre la nature et la personne, entre les conditionnements extérieurs et ma réalité d’être, entre mes fonctions ou mon statut social et mon identité profonde. C’est être attentif à ne pas se laisser déterminer par les états d’âme, les mouvements passionnels, les humeurs qui sont en moi car je ne suis pas cela. Non plus à se laisser enclore par les réalités du monde, les fonctions et les rôles dans lesquels je suis engagé. C’est dans la conscience de leur influence que je peux trouver la liberté et non dans leur négation.

L’acquisition de la liberté ne peut faire l’économie d’une lutte intérieure afin de ne pas se laisser détourner de l’unique nécessaire. Cette conquête de notre intégrité exige « d’être vigilant à l’égard des tentations proprement dites mais aussi à l’égard de toutes les constructions et les rêveries de notre imagination, de toutes les réactions de notre sensibilité et de notre susceptibilité, de toutes les explications, interprétations et théories que notre raison veut élaborer à propos de tout » (4).
Il nous faut aussi apprendre à nommer les mécanismes de défense et les stratégies de protection que nous avons mis en place dès l’enfance et qui viennent fausser la relation aux autres.

Nommer, c’est prendre conscience. Ceci suppose un processus de désidentification. (Voir Le Chemin n°24). Si je peux prendre conscience de la colère, cela signifie qu’il y a en moi un espace qui n’est pas identifié à ce mouvement passionnel. Prendre de la hauteur permet à la conscience de se dégager des emprises du moi pour poser un regard clair sur les mouvements de la nature, sur les passions.

Peu à peu, l’être vigilant connaîtra ses points faibles, par où la colère entre en lui, par quels processus elle se développe puis comment elle s’exprime. La colère est en lui mais il n’est pas la colère. De même, les passions sont en nous mais nous ne sommes pas les passions.

Selon Dorothée de Gaza : « autre chose est de dire : il s’est mis en colère ! autre chose de dire : il est coléreux ! et de se prononcer ainsi sur sa vie entière »(5).
Identifier l’autre à sa colère l’enferme dans un jugement. Dorothée de Gaza a des paroles rudes à l’égard de ceux qui jugent leur prochain. Face au jugement, il invite au repentir, à regarder avec attention en soi-même quelles passions couvent dans nos membres pour les déraciner.

Après peut-être nous pourrons aider l’autre selon ce que le Christ nous dit : « Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton oeil et alors tu verras clair pour enlever la paille de l’?il de ton frère » (Luc6/42). Saint Dorothée commente : « Il a comparé la faute du prochain à une paille et le jugement à une poutre, tant il est grave de juger, plus grave peut être que de commettre n’importe quel autre péché » (6).

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