L’attention
Etre attentif, telle est l’attitude fondamentale du disciple et de tous ceux qui sont en quête de l’Essentiel, en quête de Dieu. L’attention est la condition de l’éveil et le mode qui permet d’accéder à la connaissance et au discernement. Elle est la racine de toute vie spirituelle. L’attention est pour ceux qui s’y exercent un art de vivre, une manière d’être, un mode de relation à la vie même. Il convient donc de s’y appliquer de tout son c?ur, surtout en un temps où tout porte à la distraction et à la dispersion.
Père Philippe Dautais
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7. Attention à Dieu
Le moment privilégié de cet éveil est certainement celui de la prière. Il trouve ensuite son champ d’application au coeur de la vie quotidienne si nous considérons que l’unique nécessaire est de demeurer sous le regard de Dieu, dans l’attention à sa Présence.
« Conduisez-vous de manière à garder les yeux fixés sur Dieu »(12). Cette parole de Saint Nil exprime le fond de l’attitude chrétienne. Elle situe le lieu d’application et le but de la sobriété vigilance. Nous retrouvons le mouvement même de la prière exprimée dans ce psaume de David(121/120) :« je lève les yeux vers toi qui sièges dans les cieux. Voici, comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres et les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse, ainsi nos yeux se tournent vers le Seigneur notre Dieu jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ».
C’est dans l’expérience de la rencontre intime, de cette chaude tendresse du c?ur que nous pouvons vivifier notre fidélité à Dieu dans le quotidien. Si nous ne trouvons pas Dieu en nous-mêmes nous ne pourrons pas le percevoir en l’autre ni dans les événements. L’exercice de la nepsis nous immerge dans le souvenir de Dieu. Cet exercice prolongé dans le quotidien nous conduit à marcher en Sa Présence. Par le fait de cette vigilance intérieure où la personne se garde au dedans, s’exprime un shabbat. L’homme attentif se vit en retrait du monde, laissant l’espace d’une respiration entre les mouvements du monde et son coeur.
Celui qui se place sous le regard de Dieu, se situe dans une relation de dépendance à Dieu pour devenir libre de l’emprise du monde. Il se rappelle que l’homme est de passage sur terre, il est un pèlerin. Sa patrie est au ciel. Dans ce sens, il lui faut limiter son aliénation au monde par la tempérance. La tempérance est la juste mesure entre l’excès et le manque. Saint Hésychius le Sinaïte affirme que « le commencement de la garde de l’intelligence, c’est la tempérance dans les aliments et la boisson »(13).
Si l’on ne peut quitter le rapport passionné à la nourriture et à la boisson, il ne sera guère possible de prendre de la hauteur par rapport aux événements et encore moins vis-à-vis des passions. « Celui qui est fidèle dans les moindres choses le sera aussi dans les grandes »Luc 16/10.
La sobriété-vigilance est l’exercice de la liberté. C’est apprendre à se vivre en retrait sans se laisser emporter par les réactions immédiates dictées par les peurs et les angoisses, lesquelles sont toujours un rappel de la peur de la mort. Combien de fois nous nous laissons entraîner par nos peurs, nos émotions qui amplifient jusqu’à la démesure l’impact de l’événement. Bien souvent même, nos réactions nous empêchent de saisir l’événement tel qu’il se présente.
L’attention à soi-même consiste à devenir conscient de ses peurs, de ses émotions, de sa culpabilité au lieu d’être dans la peur, saisi dans les émotions et étreint dans la culpabilité. Apprendre à écouter et voir sans aussitôt interpréter, sans poser un jugement sur soi, sur les autres, voir ce qui est plutôt que nos projections et nos préjugés, voir les stratégies de l’égo, les reconnaître, les accepter et non les juger. Les voir pour sortir de la répétition. Simplement accueillir, laisser l’événement venir à soi, constater les réactions, les peurs, les émotions sans poser de jugement.
Puis demeurer attentif et laisser se révéler la pédagogie divine inscrite au c?ur de l’événement.Observer sans se hâter d’agir, s’exercer à la vigilance dans l’instant présent, le kaïros, qui nous ouvre sur la verticalité de l’histoire et nous fait entrer dans la dimension signifiante des situations.
L’attention fait percevoir l’invisible dans le visible, l’impalpable dans le palpable, l’inaudible dans l’audible. Elle fait entrer dans la conscience du dialogue continu entre Dieu et l’homme qui s’exprime dans les réalités existentielles et quotidiennes. Elle est la disposition nécessaire pour accueillir une grâce comme une grâce.