La louange est au cœur de la prière de l’Eglise. Elle est la tonalité même de la prière.
La louange est tout à la fois l’expression de l’émerveillement, de la gratitude, de la révérence et de la dilatation du cœur sous l’effet de la grâce.
Elle est aussi ce qui nous fait accéder à la contemplation de la réalité telle qu’elle est.
Elle est en ce sens un chemin royal vers la « liberté glorieuse des enfants de Dieu ».
5. Entrer dans une contemplation eucharistique.
Le cosmos comme sacrement de la Présence de Dieu.
Dans l’acte eucharistique, le fidèle communie au corps et au sang du Christ sous les apparences du pain et du vin. Il accueille le don de la vie du Christ dans les espèces eucharistiques, parcelles cosmiques appelées saints dons. Dans l’eucharistie, Dieu se donne et l’homme rend grâce pour le don de la vie divine. Il vit le cosmos comme sacrement de la Présence de Dieu, comme lieu du dialogue avec le créateur.
L’eucharistie est l’ultime révélation. Elle est l’annonce que le Christ est au cœur du monde : « Voici je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » Mat.28/20. Entrer dans une contemplation eucharistique, propre à l’action de la grâce, c’est entrer dans la perception sacramentelle de Sa Présence. Le grand théologien roumain Dumitru Staniloae affirme : « Dieu parle et agit continuellement par les êtres et les choses, par la création des circonstances toujours nouvelles, à travers lesquelles il appelle chaque homme à s’unir à Lui et à ses semblables et répond à chaque instant aux appels des hommes » le génie de l’orthodoxie, p55.
Vivre en Christ.
Vivre en Christ c’est vivre ce dialogue, se mettre à l’écoute de Dieu qui parle et agit dans les événements. C’est devenir sensible à l’action de la grâce, attentif aux interventions divines, à la pédagogie divine au cœur du quotidien, au cœur de notre vie existentielle. La mise en évidence de ce dialogue ne peut que porter à l’action de grâce, à la joie de la rencontre.
L’essence de la vie chrétienne.
Il nous faut dire et redire que c’est là l’essence de la vie chrétienne : la communion de l’homme avec Dieu ou plutôt la participation de l’homme au dialogue, à la communion que Dieu propose.
L’eucharistie signifie, par le symbole du pain et du vin, le cosmos comme lieu de communion avec Dieu. C’est là le chemin de la foi-confiance. La confiance s’éprouve dans la relation, dans la fidélité au sein de la relation. Or, la mise en évidence de l’action et de la pédagogie divines est essentielle à l’expérience de cette relation.
La louange, nous fait entrer dans une contemplation eucharistique.
La louange est l’expression d’une disposition du cœur apte à cette révélation. Elle est le mode par lequel nous pouvons discerner l’action de Dieu dans le monde. Elle nous fait entrer dans une contemplation eucharistique qui est sacrifice d’action de grâces.
L’action de grâce est un élan de la liberté. « Nous devenons nous-mêmes dans l’action de grâces et la bénédiction » affirme Mgr Kallistos Ware (Buisson Ardent n°9 p 93). La participation au dialogue avec Dieu nous révèle à nous-mêmes, nous fait être nous mêmes. Plus sûrement que tout autre chemin, l’action de grâces, la louange nous purifient de nos passions et nous fait accéder à une juste perception de la réalité. Elles nous affranchissent de nos fausses représentations et de nos fausses conceptions.
Chaque élément du cosmos est sacré.
Si le cosmos est potentiellement sacrement de Sa Présence, chaque élément du cosmos est sacré, non en lui-même mais comme incorporation singulière d’une parole créatrice. « Dieu a dit et ils ont été faits, Il a commandé et toutes choses ont été créées » Ps 148/5-6. « Par le Verbe, tout a été fait et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui ».Jean 1/3.
L’objectivation.
Dans cette contemplation, nous ne pouvons réduire les minéraux, les végétaux et les animaux à des objets. L’objet signifie l’exil de la relation, la négation de la dimension transitionnelle et dialogale du cosmos. L’objectivation, la chosification profilent la mort car tout ce qui est coupé de la relation est mort. L’objectivation du monde est le péché en tant que rupture de relation.
Le péché, la perte du dialogue.
Dans le livre de la genèse, le péché qualifie le fait de vouloir se saisir d’un fruit de la création en dehors de la relation au créateur. C’est la sortie du dialogue qui est signifié par l’exil hors du lieu dialogal de l’Eden. C’est là la racine du mal : la rupture de la relation, la perte du dialogue.
Dans le péché, l’être humain devient un aliéné de l’objet, il devient esclave des éléments du monde (voir Romains 1/18-24).
Le cosmos, lieu de communion et non de consommation.
Le Christ est venu libérer l’homme en l’appelant tout d’abord au repentir, c’est à dire au dialogue et à la relation puis en ré-introduisant la dimension sacramentelle. Après avoir rendu grâces, il a identifié le pain à son corps et le vin à son sang ; « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » Mat 26/28-28. Par là, il a ré-institué le cosmos comme lieu de communion et non de consommation.
Attitude eucharistique vis à vis du monde et de l’autre.
Stricto sensu, pour les chrétiens, la communion eucharistique doit trouver son prolongement dans une attitude eucharistique vis à vis du monde et de l’autre. L’autre comme sacrement de la Présence de Dieu, le cosmos comme porteur de potentialités sacramentelles.
La conscience sacramentelle ne peut qu’être respect pour toute créature et pour tout être humain. Saint Jean Chrysostome associera le sacrement du frère au sacrement de l’autel, rappelant par là que le Christ s’est identifié « à l’un de ces plus petits de mes frères »Mat. 25/40. Invitation à prendre soin du prochain, de tout être humain et à reconnaître en lui la présence sacramentelle du Christ, invitation à l’amour du prochain. L’émerveillement fait naître l’amour.
C’est cette conscience eucharistique née de l’émerveillement qui a conduit les saints vers la liberté intérieure. Communiant à la Source originelle, ils étaient « dans ce monde sans être de ce monde », libres de tout attachement, de toute contrainte, de toute aliénation. L’amour suppose cette liberté. L’amour est gratuit.
Père Philippe Dautais