L’ardente recherche de la liberté
Un des points les plus essentiels dans la vie spirituelle, comme d’ailleurs pour toute quête, est l’importance du but. Avant de commencer un projet, il est nécessaire de s’interroger sur la possibilité de sa réalisation. Avant de se lancer dans une pratique, il est bon de discerner la finalité que nous recherchons.
En ce sens, en méditant l’Ecriture Sainte et les écrits des Saints Pères de l’Eglise indivise, il apparaît que la vie chrétienne est l’ardente recherche de « la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». La liberté intérieure est décrite comme la pierre d’angle de tout l’édifice spirituel, sans elle, l’accomplissement des commandements divins, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, semble impossible.
Les étapes de la purification intérieure, telles qu’elles sont décrites par les Pères, ont pour but l’apathéia ou état de liberté intérieure. Ils affirment qu’il n’y a pas d’amour vrai sans liberté. L’amour est la fille de la liberté.
Père Philippe Dautais
4. L’état de vigilance conduit à la liberté
Les Pères du 4ème siècle en Egypte étaient inscrits dans une dynamique de repentir c’est à dire de vie et de transformation selon cette parole du prophète Ezéchiel : « Dieu ne veut pas la mort de celui qui meurt mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18/32). Dieu appelle chacun à la vie. Il est venu faire mourir la mort afin de libérer la vie.
La perspective de toute ascèse est, en ce sens, l’accroissement de vie. « Le but de la vie ascétique, nous rappelle Wladimir Lossky, ne consiste pas dans une mortification qui retrancherait les passions du corps, mais plutôt dans l’acquisition d’une énergie nouvelle et meilleure qui permettrait au corps aussi bien qu’à l’esprit de prendre part à la vie de la grâce » (5). Prendre part à la vie de la grâce tel est le but de l’ascèse chrétienne.
L’ascèse consiste à désensabler la source, à se dégager de toutes les concrétions qui se sont formées autour du coeur. L’ascèse est un chemin de purification afin que le coeur puisse se disposer librement à la grâce. Chemin qui est aussi conquête de l’intégrité sans laquelle il n’y a pas de liberté. Chemin qui passe par la grâce des prises de conscience, par un regard clair sur soi-même, par une connaissance approfondie de ses états d’âme, de ses failles, de ses faiblesses, de ses blessures, de sa misère.
Les Pères invitaient à voir sans juger, à oser un regard clair sans moraliser. Ils acceptaient de traverser consciemment leurs états intérieurs afin de les connaître du dedans pour mieux s’en affranchir. Ils se sont ainsi enrichis d’une connaissance profonde des rouages de l’âme et ont acquis le discernement.
Saint Jean Climaque (Abbé du monastère sainte Catherine au 7e siècle) écrit : « que prennent courage les passionnés qui sont humiliés, car s’ils tombent dans les gouffres, s’ils sont engloutis dans tous les pièges, s’ils sont affectés par toute maladie, cependant quand ils auront recouvré la santé, ils seront pour tous des médecins, des flambeaux, des lampes et des guides, enseignant les modes de chaque maladie et sauvant par leur propre expérience ceux qui sont sur le point de tomber. » (6)
C’est en passant consciemment par les passions que les passionnés ont atteint l’apathéia, la liberté intérieure. Celle-ci est étroitement liée à la connaissance de soi donc à la vigilance. La connaissance de leur petitesse, de leur finitude leur faisait découvrir la grandeur de l’amour de Dieu. Ils expérimentaient le salut du Christ, dans le quotidien de leur vie. En tout, ils se confiaient eux-mêmes et confiaient toute leur vie au Christ. La délivrance, le salut viennent du Christ.
Les Pères articulaient prière et vigilance. La prière révèle nos failles, notre asservissement aux esprits déchus et nous rend conscient de notre captivité. La vigilance permet de rompre avec les connivences inconscientes. La vigilance refuse les idolâtries qui ferment notre regard à la vérité des choses. Elle permet de se soustraire peu à peu à l’emprise des passions et de leurs projections.
La vigilance et la prière permettent de conquérir l’intégrité. Elles nous conduisent vers la liberté intérieure. Celle-ci ne signifie pas la mort des passions mais le fait de ne plus consentir à leur emprise. Ceci est impossible sans la prière alliée à la vigilance.
Les passions n’ont plus de pouvoir sur celui qui vit intensément la relation au Christ. Il les ressent dans son coeur mais il n’est plus affecté ou troublé par elles. L’énergie qui animait ces passions est alors mise au service de la croissance spirituelle, de la conquête du Royaume.
L’état de vigilance, la prière conduisent vers la vraie connaissance. La purification du coeur conduit à une juste contemplation : « bienheureux les coeurs purs car ils verront Dieu ». Juste contemplation de la gloire de Dieu dans les Etres et les choses, pressentiment de Dieu dans ses créatures.
Pour ceux qui ont le coeur pur, tout est pur, tout est nimbé de lumière et auréolé de silence. Il n’y a plus le brouhaha des pensées mais le saisissement de l’émerveillement. Le coeur est devenu le lieu où se reflète la beauté originelle, il est devenu philocalique, miroir de réalités ineffables et éternelles.
Le coeur est devenu visionnaire et par là est devenu libre de toute réalité terrestre car il est nourri par la vision : « la vie de l’homme est la vision de Dieu » (7).