L’ardente recherche de la liberté
Un des points les plus essentiels dans la vie spirituelle, comme d’ailleurs pour toute quête, est l’importance du but. Avant de commencer un projet, il est nécessaire de s’interroger sur la possibilité de sa réalisation. Avant de se lancer dans une pratique, il est bon de discerner la finalité que nous recherchons.
En ce sens, en méditant l’Ecriture Sainte et les écrits des Saints Pères de l’Eglise indivise, il apparaît que la vie chrétienne est l’ardente recherche de « la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». La liberté intérieure est décrite comme la pierre d’angle de tout l’édifice spirituel, sans elle, l’accomplissement des commandements divins, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, semble impossible.
Les étapes de la purification intérieure, telles qu’elles sont décrites par les Pères, ont pour but l’apathéia ou état de liberté intérieure. Ils affirment qu’il n’y a pas d’amour vrai sans liberté. L’amour est la fille de la liberté.
Père Philippe Dautais
2. Les passions faussent notre relation à l’autre
C’est par l’amour des biens matériels, de l’argent et des plaisirs qu’ils lui procurent et parce qu’il les préfère aux biens et aux jouissances spirituelles, que l’homme tombe dans la passion de la colère ainsi que le dit clairement Saint Maxime : « Nous avons préféré les choses matérielles et profanes au commandement de l’amour et parce que nous y sommes attachés, nous luttons contre les hommes alors que nous devrions préférer l’amour de tous les hommes à toutes les choses visibles et même à notre corps »(1).
La convoitise conduit vers l’inimitié voire la haine de l’autre. Elle nous fait considérer notre prochain comme un rival, un concurrent puis finalement un ennemi. Elle introduit donc une déviation et un mensonge. Déviation car elle nous fait haïr au lieu d’aimer. Mensonge, car elle nous présente l’autre comme un étranger, alors même que nous participons avec lui de la même chair, de la même humanité. Donc elle fausse mon rapport à l’autre, introduit une perception erronée de l’autre. Elle me fait croire que l’autre est un ennemi et qu’il a des intentions négatives à mon égard.
A cause de l’esprit de convoitise, je suis amené à projeter sur l’autre les passions idolâtriques qui habitent dans mon c?ur. Ainsi, je ne vois pas l’autre mais je vois en l’autre mes propres projections. Sous l’emprise de la passion, je prête à l’autre des pensées, des sentiments qui ne sont pas nécessairement dans son c?ur. Combien de conflits et de tensions naissent à cause des projections qui sont un aveuglement sur soi et sur l’autre. Sur soi, car je ne reconnais pas que les projections m’appartiennent. Sur l’autre car je l’ignore, je ne sais pas l’écouter. Je ne vois en lui que mes projections égocentriques.
Saint Jean Climaque précise : « la violence est le symptôme d’une grande suffisance » (2). Elle est un enténèbrement de la raison, détruit le discernement ainsi que toute sagesse. Saint Basile le grand affirme que « la colère est une folie momentanée ». Dans la colère, la raison est totalement au service de la passion, elle est enténébrée. Le réel est perçu de manière déformée selon une connaissance délirante et mensongère née de la passion.
Le délire engendré par la colère a encore pour effet de modifier la proportion des choses que l’homme perçoit. Certains événements prennent une importance démesurée, d’autres sont minimisés voire occultés. Force est de constater que souvent la colère repose sur un quiproquo, sur une incompréhension. Mais, précise Théophane le Reclus « l’ennemi vient et donne à la méprise l’apparence du bon droit et en fait une telle montagne que nous pourrions croire que l’univers entier va s’écrouler si nous n’obtenons pas satisfaction » (3).
La violence et ou la colère sont un aveuglement de la raison et l’expression majeure de l’aliénation. Elles sont la conséquence de la peur qui sous-tend toutes les passions. Peur de ne pas être aimé. Cette peur est le tombeau de la liberté. La rancune, la haine, l’esprit de vengeance sont de même la mort de la liberté.
Ecoutons encore Saint Théophane le Reclus : « Rappelons-nous comment l’ennemi procède pour nous tenter. La pointe de son glaive est l’introduction d’une pensée dans le c?ur. Le diable s’attend à ce que le coeur réagisse et, sur cette prévision, il bâtit une forte tentation. Supposons par exemple que vous pensiez à quelqu’un qui vous a offensé : voilà la pointe du glaive de l’ennemi. Si le coeur répond à cette pensée en accueillant intérieurement un sentiment de rancune contre l’offenseur, c’est que le glaive a pénétré jusqu’à l’âme et l’a blessée. Immédiatement, l’ennemi s’approche de l’âme et y soulève en tempête la colère et le désir de revanche. Mais si, au contraire, le c?ur est toujours prêt à pardonner les offenses, se conserve dans un état de douceur sereine et de paix envers tous, alors, peu importe que l’ennemi présente à l’âme, d’une manière très vive, le souvenir de l’offense qu’elle a subie, le coeur n’y réagit pas. L’ennemi n’a aucune faille par laquelle il puisse introduire la tentation. » (4)
L’ennemi, les puissances démoniaques ne peuvent rien contre l’homme sans son consentement. C’est pourquoi l’homme doit lutter intérieurement pour ne pas se laisser emporter par les tentations. Il ne le pourra que s’il reconnaît qu’il est capable du pire. S’il se croit juste, il peut devenir la proie de l’adversaire à cause de l’illusion donc du manque de vigilance. La liberté est dans la conscience de ses failles, de ses points faibles, de son incapacité à se transformer : « c’est quand je suis faible qu’alors je suis fort » 2 Cor 12/10.