L’ardente recherche de la liberté
Un des points les plus essentiels dans la vie spirituelle, comme d’ailleurs pour toute quête, est l’importance du but. Avant de commencer un projet, il est nécessaire de s’interroger sur la possibilité de sa réalisation. Avant de se lancer dans une pratique, il est bon de discerner la finalité que nous recherchons.
En ce sens, en méditant l’Ecriture Sainte et les écrits des Saints Pères de l’Eglise indivise, il apparaît que la vie chrétienne est l’ardente recherche de « la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». La liberté intérieure est décrite comme la pierre d’angle de tout l’édifice spirituel, sans elle, l’accomplissement des commandements divins, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, semble impossible.
Les étapes de la purification intérieure, telles qu’elles sont décrites par les Pères, ont pour but l’apathéia ou état de liberté intérieure. Ils affirment qu’il n’y a pas d’amour vrai sans liberté. L’amour est la fille de la liberté.
Père Philippe Dautais
3. C’est quand je suis faible qu’alors je suis fort
Le chemin de libération est tout entier récapitulé dans cette parole du Christ : « Veillez et priez afin que vous ne soyez pas emportés par la tentation » Mat 26/41. La vigilance et la prière sont complémentaires. Pour ne pas consentir aux passions, les deux sont nécessaires.
Le but est de devenir libre face à la tentation. A l’expérience, ce but est inatteignable par les seules forces humaines. Dans une conception juridique du péché, cette incapacité se traduit par la culpabilité.
La culpabilité est liée à une morale d’obligation et de perfection. Elle est aliénante. Elle nous enferme dans une auto-condamnation et une dévalorisation de soi. Elle est le fruit d’une lecture erronée des Evangiles selon laquelle il nous serait ordonné d’aimer ou d’être parfait : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » Mat 5/48. Or, le Christ n’est pas venu nous culpabiliser, mais nous sauver. Il n’est pas venu nous dire que nous pourrions devenir parfait par nous-mêmes mais que la perfection vient de Dieu. En ce sens, il est venu nous appeler au repentir.
Le repentir exclut tout sentiment pathologique de culpabilité. Le repentir est la conscience de l’échec et de l’insuffisance de l’homme. Le repentir est l’ouverture à la relation à Dieu provoquée par la conscience de son échec existentiel et de son impuissance à atteindre le but. C’est le mouvement exprimé par le fils prodigue qui accepte de reconnaître son échec, sa chute, sa déchéance et se souvient de la maison de son Père. Il se lève et se détermine pour le retour dans un esprit d’humilité. Son Père vient à sa rencontre et l’accueille dans ses bras.
La perfection résulte de l’action de Dieu en l’homme. A l’homme appartient le désir de la perfection, à Dieu la capacité d’amener l’homme vers l’accomplissement. « A l’homme cela est impossible mais à Dieu tout est possible » Luc 18/27. C’est Dieu qui déifie et l’homme qui est déifié. L’ascension vers la perfection est une descente dans l’humilité. Le péché advient par l’autosuffisance, la guérison vient par l’humilité.
Dans cette perspective, le chemin vers la perfection n’est pas dans une ascension prométhéenne mais dans l’humble acceptation de ses failles, de sa faiblesse, de son impuissance conjuguée à l’appel adressé à Dieu, dans l’invocation de sa miséricorde. L’homme égocentré, renfermé sur sa culpabilité morbide ne sait pas s’ouvrir à l’amour miséricordieux, il veut se sauver par lui-même.
Le repentir, d’une certaine manière, est le fruit d’une désespérance, la reconnaissance d’un échec qui ouvre sur la possibilité de l’autre, du Tout Autre. Tant qu’il y a trace dans l’homme d’une autosuffisance, le salut reste inaccessible.
Combien libératrice pour l’homme est la reconnaissance de ses limites, de ses failles, de son échec, de son impuissance, cela le conduit dans la recherche de la grâce divine, don gratuit donné à l’homme. La découverte de la liberté peut se trouver au bout du tunnel du désespoir à la condition de la confiance et de l’abandon, à la condition de l’humilité : « Celui qui s’abaisse sera exalté ».
Le repentir, la métanoïa, est une ouverture du regard, un élargissement du coeur. Il invite à un nouvel état d’esprit et une nouvelle disposition du coeur, « coeur nouveau, esprit nouveau » .
La liberté s’expérimente dans ce dynamisme de la nouveauté : « Il faut que vous naissiez de nouveau » (Jean 3/7). Cette nouvelle naissance est passage de ma volonté à Sa volonté, de mon action à Son action en moi, non plus moi mais le Christ en moi.
Ma faiblesse devient alors une brèche par laquelle l’Esprit Saint peut agir. Mes blessures deviennent des occasions de conversion et la possibilité de la compassion. Mes limites sont alors la possibilité pour Dieu d’exercer Sa Toute Puissance d’amour : » c’est quand je suis faible qu’alors je suis fort » 2 Cor 12/10.
La vie s’approfondit dans une double conscience, celle de ma faiblesse et celle de la grâce qui agit en moi. Par l’esprit de repentir, le Seigneur m’apprend à ressentir dans chaque action ma faiblesse et la grâce de Dieu agissant en moi. C’est dans cette double conscience que se découvre la liberté. Ce qui advient ne dépend plus de moi, de mes qualités ou de mes défauts, de ma volonté ou de mes projets mais est la manifestation de la volonté divine qui s’accomplit par la vertu de la liberté.
Cette liberté signifie la mort à toute volonté propre. Elle est le fruit d’un saisissement intérieur qui provoque l’émerveillement devant les oeuvres de Dieu. Cette liberté est une transfiguration du regard par la mort à la volonté propre donc à toute projection. Elle m’ouvre à la réalité telle qu’elle est et me fait accepter cette réalité comme manifestation de la gloire de Dieu. Dans le repentir, j’accueille ce qui est au lieu de projeter mon égo sur la réalité.