L’ardente recherche de la liberté
Un des points les plus essentiels dans la vie spirituelle, comme d’ailleurs pour toute quête, est l’importance du but. Avant de commencer un projet, il est nécessaire de s’interroger sur la possibilité de sa réalisation. Avant de se lancer dans une pratique, il est bon de discerner la finalité que nous recherchons.
En ce sens, en méditant l’Ecriture Sainte et les écrits des Saints Pères de l’Eglise indivise, il apparaît que la vie chrétienne est l’ardente recherche de « la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». La liberté intérieure est décrite comme la pierre d’angle de tout l’édifice spirituel, sans elle, l’accomplissement des commandements divins, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, semble impossible.
Les étapes de la purification intérieure, telles qu’elles sont décrites par les Pères, ont pour but l’apathéia ou état de liberté intérieure. Ils affirment qu’il n’y a pas d’amour vrai sans liberté. L’amour est la fille de la liberté.
Père Philippe Dautais
1. Les passions faussent le rapport au réel
La quête de la liberté nous renvoie à toutes nos aliénations et met en évidence les aspects multiformes du moi, comme la lumière rend manifeste les ombres.
Le moi ne sait pas aimer, il ne sait que projeter ses illusions, ses attentes, ses besoins, ses peurs, ses angoisses sur l’autre et sur le monde. Le moi est idolâtre de lui-même, il n’aime que lui. L’amour de soi ou philautie est le principe et la mère de toutes les passions. Le rapport à soi et aux choses est faussé, la réalité est déformée selon une perception délirante aliénée aux passions. Toute relation est dès lors habitée par la convoitise, le mensonge ou la colère.
Les passions obscurcissent l’intelligence, pervertissent le jugement et empêchent tout discernement. Tout est interprété en fonction du ressenti immédiat : de l’agréable ou du désagréable, de l’envie du moment, de ce qui convient ou conforte, de ce qui satisfait ou à l’inverse contrarie. Le moi recherche le plaisir immédiat. Il identifie le désir aux objets du désir et devient ainsi captif et esclave des désirs multiples qui sont aliénés aux biens de ce monde. Celui-ci est perçu en fonction du profit ou de la jouissance qu’il peut procurer.
Le moi est enfermé dans l’illusion du visible et du palpable, il n’a qu’une connaissance superficielle. Pour le moi passionné, le monde devient le lieu des projections et les créatures le moyen d’assouvir ses passions. Saint Isaac le Syrien affirme que « l’intelligence tombée dans la sensation charnelle n’a plus qu’une connaissance mondaine et produit des pensées malades ».
Par exemple, la convoitise fausse le rapport au réel par l’objectivation. Elle rend l’homme dépendant d’un objet alors que sa vie lui vient de Dieu. La convoitise donne à l’objet une puissance qu’il n’a pas. La convoitise est une idolâtrie.
Les passions se nourrissent fondamentalement de pensées et d’imaginations, non seulement de celles qu’elles suscitent elles-mêmes mais encore de celles que le démon proposent à l’homme et qui sont d’ailleurs à l’origine de la naissance et du développement des passions. « D’abord, naissent les pensées puis les passions se montrent » remarque Saint Dorothée de Gaza.
Dans le livre de la genèse au 3ème chapitre, la tentation première est la convoitise. Cette tentation est mensongère, elle fait croire ce qui n’est pas, elle déforme la parole donnée. La convoitise, ou esprit de possession, engendre la colère. Les violences, les meurtres, les guerres sont la conséquence de la convoitise qui fait désirer le bien d’autrui.
La convoitise, comme les passions en général, est une déviation du désir originel. Le désir natif de l’homme est désir de Dieu, désir d’une réciprocité d’amour. La convoitise est le désir des biens de ce monde, désir de possession qui engendrent les violences meurtrières. Evagre le Pontique, grand observateur de la vie monastique en Egypte au 4ème siècle, rapporte cette parole d’un moine : « Si je supprime les désirs, c’est pour retrancher les prétextes de colère ». Evagre ajoute lui-même : « Tu n’admettras jamais la convoitise car c’est elle qui fournit matière à la colère ».