Lettre Paques2012

Sainte Croix centre d'étude et de prière orthodoxe

Lettre pour la fête de Pâques 2012 

La fête de Pâques est au cœur de la vie et de la foi chrétienne. Elle est la fête des fêtes, la solennité des solennités, passage de la servitude à la liberté, de l’ancien au nouveau, de la mort à la vie. A Pâques, l’impossible devient réalisable, l’improbable advient. Cet impossible, selon la logique humaine, s’exprime pleinement dans l’avènement de la résurrection du Christ. Tout bascule. L’inéluctable mort devient l’ultime phase de l’accouchement à la vraie vie comme le grain doit mourir en terre pour produire du fruit. La résurrection signe la victoire définitive de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine. Dans la résurrection, il n’y a plus de rupture, les divisions sont surmontées, tout est récapitulé en Christ. Dieu, en Jésus Christ, a librement accepté de partager notre condition humaine soumise à la mort. En tant que fils de l’homme, il a mené un combat incessant pour réintroduire la vie, là où la mort menaçait : il a guéri les malades, ressuscité les morts, chassé les démons.

Après avoir ramené Lazare à la vie, il entra triomphalement à Jérusalem et fut acclamé comme roi de Sion. Il désira exprimer pleinement son amour en se donnant totalement : « ma vie, personne ne la prend, c’est moi qui la donne ». Par cette offrande libre, il a traversé la mort et manifesté la puissance de la vie. La mort n’est plus la fin de la vie mais passage vers la plénitude, vers le dynamisme de l’univers relationnel où tout est vivant car pleinement vivifié par la grâce.

En Christ, Dieu a épousé la nature humaine, l’altérité. Il s’est uni à l’homme jusqu’à même descendre dans les ténèbres, là où la lumière était refusée. Dans la descente aux enfers, ou pour être plus exact au séjour des morts (schéol), il a épousé l’homme et avec lui, le cosmos dans sa totalité, c’est  alors qu’éclate la résurrection. C’est pourquoi nous chantons pendant la nuit pascale : « Tout est inondé de lumière : le ciel, la terre et même les enfers ». L’amour de Dieu a triomphé de l’enfer et de la mort. Cette victoire, nous la chantons avec force en cette nuit lumineuse de la résurrection afin qu’à la suite du Christ et en lui, nous fassions triompher la vie sur la mort et que nous ne nous laissions plus enfermer par les forces de mort ou les processus mortifères.

En quoi l’avènement de la résurrection peut-il être décisif pour nous aujourd’hui ?

Il nous faut bien comprendre que la résurrection du Christ n’est pas un acte magique mais une victoire définitive que nous avons à actualiser, à faire nôtre, à chaque instant de notre vie. Le Christ ne s’est pas substitué à l’être humain. Il nous a ouvert la porte vers la vraie vie et nous invite à le suivre, en cela, il fait appel à notre liberté et à notre responsabilité. Il a agi en tant que « fils de l’homme » pour nous montrer que la voie qu’il a tracée est accessible à chaque être humain créé à l’image de Dieu. Avec Lui et en Lui, chaque disciple a pour mission d’actualiser le souffle de la résurrection.

1- En premier lieu, la résurrection du Christ nous rappelle que ce monde et cette existence sont transitoires et ne constituent pas une finalité en eux-mêmes. L’être humain n’est pas pour le monde, mais le monde est pour l’homme et l’homme a pour vocation de participer à la vie divine qui est éternelle. Faire de ce monde une finalité engage dans la logique des intérêts personnels, de la possession, des pouvoirs, dans la logique consumériste et financière. Par sa résurrection, le Christ nous invite à changer de regard, à sortir du monde clos des apparences pour accéder à la profondeur du réel et mettre l’accent sur les vraies valeurs : le partage, la solidarité, le soutien aux plus démunis, la paix par la voie du dialogue et de la réconciliation et finalement l’amour comme qualité de la relation. Valeurs qui sont celles proclamées par les Evangiles et sont inhérentes au Royaume des Cieux.

2- Ce changement de regard et de perspective, changement d’état d’esprit (métanoïa) inaugurés par la résurrection ouvrent une ère nouvelle qui rompt avec la logique égoïste et calculatrice. Si nous prenons acte de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, le vieil homme est crucifié au bénéfice de l’homme nouveau. Vivre Pâque, c’est faire ce passage de moi à Dieu en moi, de la préoccupation de soi au don de soi, de l’individu à la personne laquelle a une vocation universelle.

3- Les chrétiens dans le souffle de la Résurrection sont appelés à construire un monde nouveau où règne la paix. A chacune de ses apparitions après la Résurrection, Jésus bénit ses disciples en disant : « la paix soit avec vous », son message le plus essentiel est celui de la paix. Pour promouvoir la paix à l’extérieur, il faut l’avoir établie en soi, selon saint Séraphim de Sarov. Or, la paix n’est pas seulement un état, elle est le fruit de la rencontre avec Celui qui est la paix. La paix est faite de pardon, d’acceptation de soi et de l’autre dans sa différence. Il n’y a pas de paix sans justice et pas de justice sans respect de chaque être. Le but de l’offrande de Jésus sur la croix est l’avènement de la paix par le respect du plus petit de nos frères auquel il s’identifie. Il s’est donné pour chacun. Les chrétiens doivent montrer l’exemple en commençant par la pleine réconciliation entre les membres de son corps qu’est l’Eglise.

Pendant la sainte semaine, nous avons accompagné Jésus dans sa passion volontaire jusqu’à l’échec apparent de sa mort sur la croix. Pour nous de même, il faut passer par l’expérience de l’échec, de nos limites, de notre faiblesse, de notre impuissance à atteindre le but pour être prêt à recevoir la grâce de Dieu, à s’ouvrir à son amour incommensurable. C’est lorsque l’on désespère de ses possibilités individuelles que l’on peut s’abandonner à la miséricorde divine.

Saint Maxime le Confesseur a cette parole : « celui qui a connu la faiblesse de la nature humaine, celui-là a reçu l’expérience de la puissance de Dieu ».

L’expérience de nos limites est la possibilité d’ouvrir notre cœur à la puissance de la vie divine, elle nous introduit dans l’espace dialogal et vivant de la relation divino-humaine.

Manquer le but c’est promouvoir l’enfer de l’injustice, racine des conflits.

Compter sur ses propres forces, vouloir gagner sa vie c’est la perdre car c’est rester en exil du dialogue, de la relation avec le Christ qui sauve. Rester en exil du dialogue, c’est demeurer dans la mort. L’exil nous conduit à une culture de l’objectivation et de la fragmentation. Lorsque nous ne percevons plus l’inter-relation entre toutes choses, nous entrons dans un regard « objectivant » qui réduit tout être vivant à des objets pour ensuite transformer ces objets en marchandises. Le symbole de l’objectivation est l’argent.

Après son entrée à Jérusalem, le Christ pénètre dans le temple pour renverser les tables des marchands et chasser les vendeurs du temple en clamant : « Ma maison sera appelée maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs ». Mat 21/13. Il rappelle que la finalité du temple, c’est la prière, le dialogue avec Dieu, la vie en Dieu. En faire une maison de commerce, c’est détourner la finalité du temple vers des intérêts immédiats, éphémères et existentiels. La mort met un terme à cette finalité.

Symboliquement, le temple, c’est le cosmos. La finalité du cosmos est de nous conduire vers une communion avec Dieu, la finalité est eucharistique. C’est ce que nous rappelle le Christ lors de la Sainte Cène avant de monter sur la croix.

Ouvrir l’espace du dialogue

L’urgence de notre temps est de retrouver la dimension dialogale du cosmos, de nous rappeler que notre existence a pour finalité la vie en Dieu, non notre confort existentiel. Saint Paul, dans sa perspicacité spirituelle, avait perçu que : « la création toute entière attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » Rom 8/19. « La création toute entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement » 8/22.

Cette parole est des plus actuelles. Elle est une invitation forte à nous consacrer à l’unique nécessaire : devenir des fils et des filles de Dieu ou plutôt se laisser re-susciter par Dieu, engendrer par le Père. C’est en nous re-situant dans cette perspective que nous pourrons sortir de l’impasse actuelle. Nous touchons aux limites de la logique de mort qui s’appelle « objectivation » où toute matière et toute vie sont réduites à leurs valeurs marchandes. La mondialisation du consumérisme et du profit tend à tout envahir pour tout anéantir. Pour sortir de cette logique mortifère, il nous faut ouvrir l’espace dialogal ou espace symbolique. Le symbole met en lien le visible et l’invisible, la terre et le ciel. Il permet d’entrer dans une lecture verticale des événements pour déchiffrer le sens. Il introduit dans notre monde de mort un nouveau dynamisme : celui de la Résurrection. Lequel nous invite à sortir des apparences, de l’extériorité, de la chosification pour devenir sensible à la vie qui fait être toutes choses.

La Résurrection, cela veut dire qu’en tout événement, le Christ vient dans notre monde de mort pour réinsuffler la vie.

L’événement pascal nous invite à un saut quantique, à passer des ténèbres à la lumière, de l’enfermement à l’ouverture. Sortir de nos considérations utilitaires, marchandes, de nos vieux schémas mentaux pour enfin percevoir la Nouveauté à l’œuvre dans ce monde.

Devenir des vivants

L’événement de la Nouveauté est intérieur à l’histoire, le Royaume des cieux est au dedans de nous. Cela veut dire que nous portons en nous les germes de la Résurrection, que nous avons à les semer partout où nous sommes. Mais comment semer la vie si nous ne sommes pas devenus des vivants. Comment être des vivants si nous ne portons pas en nous le Christ Ressuscité.

Etre vivant, c’est prendre le risque de la Nouveauté, donc de la vérité et de la liberté qui sont les noms même de l’Esprit Saint. Etre vivant dans le Souffle de l’Esprit, c’est oser vivre son intégrité personnelle, sa vérité profonde. Le Christ, qui est la Vérité, nous appelle, Il désire descendre dans nos profondeurs pour re-susciter l’image de Dieu en nous. Celle-ci est comme un petit enfant en attente de la plénitude de vie. L’enfant, symbole de l’être en nous, est le germe de la résurrection qui ne demande qu’à grandir et s’épanouir.

La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, l’homme ressuscité en Christ.

Christ est ressuscité Alléluia.

P. Philippe & Elianthe