Dormition de la très sainte Mère de Dieu

vue Sainte Croix

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Chaque année est marquée par cette célébration de la Dormition afin que nous gardions en mémoire les événements mais aussi les mystères les plus essentiels de la vie de l’être humain.

Nous avons besoin sans cesse de renouveler notre mémoire car nous partons vite dans l’oubli, l’oubli de ce que nous sommes, l’oubli de notre vocation, l’oubli de la gloire que nous portons en nous-mêmes.

Aujourd’hui, nous célébrons l’une des plus grandes fêtes, en tous cas celle qui récapitule toutes les autres, car le but de l’incarnation du Christ ce n’est pas la croix, ce n’est pas même la résurrection, mais la Pentecôte, et dans la continuité, l’Assomption de Marie, c’est-à-dire, l’aboutissement de l’incarnation du Christ car comme le disent les Pères : Dieu s’est fait homme (par l’incarnation le Christ est le visage du Père), pour que l’homme puisse participer de la vie divine.

Ce qui aujourd’hui s’accomplit en Marie. Elle est élevée au ciel et devient participante de la gloire de Dieu, de la communion d’amour des trois Personnes célestes et éternelles.
Marie, depuis sa naissance, tout au long de sa vie, n’a cessé de méditer les mystères, de se garder au-dedans afin de demeurer dans la mémoire de tout ce qui était inscrit en elle comme de tout ce qui est inscrit en tout être humain. « Toute la gloire de la fille du Roi se trouve en elle-même ».

Le drame de l’humanité, c’est d’avoir oublié sa royauté, d’avoir oublié la gloire qu’elle porte en elle et Marie est la mémoire de l’humanité, elle qui demeure éveillée à la Source, éveillée à la mémoire inscrite au-delà des événements matériels, des gestes, de tout ce qui peut être inscrit dans le corps et ô combien présents et gravés dans toutes les cellules de notre être.

Marie est demeurée toute entière à l’intérieur. Les évangiles sont d’une discrétion remarquable sur la présence de Marie car Marie n’est pas une femme extérieure mais une femme qui était toute entière absorbée dans la contemplation des mystères invisibles et célestes qui se vivaient en elle. Mystères qui ont été manifestés visiblement par les événements de la vie du Christ.

Ainsi, demeurant dans cette contemplation, elle a vécu de l’intérieur l’essentiel de tous les mystères. Elle nous rappelle que nous portons en nous une perle précieuse, que nous portons en nous une beauté pour laquelle beaucoup d’hommes et de femmes ont tout vendu, ont tout laissé pour entrer dans une quête : celle de la beauté philocalique.

Pour entrer dans ce dynamisme de cette quête de la Beauté qu’on appelle la Philocalie et qui résume ici le dynamisme qui pouvait habiter ces êtres, qui, comme Marie, et à la suite de Marie, ont recherché ce qu’ils portaient en eux comme trésor de tendresse, comme trésor d’attention, de respect, de paix, de joie, d’amour enfouis dans la profondeur de leur cœur, comme sensibilité à la Présence, comme intégrité et réalité profondes de leur cœur.

Trésor fragile qu’il s’agit de protéger. Nous savons combien nous avons peur de nos fragilités, peur de nos vulnérabilités, peur de ne pas pouvoir les assumer au regard de l’autre et ainsi nous protégeons notre vulnérabilité par des carapaces d’égo pour revêtir la perle, pour qu’elle ne soit pas bafouée, profanée, par ceux qui nient eux-mêmes leur beauté intérieure.

Ainsi l’homme est déchiré, déchiré entre la nostalgie de cette beauté intérieure, nostalgie du paradis qu’il sait être en lui-même et en même temps cette nécessité du monde existentiel qui le pousse à l’extérieur.

Ceci est bien exprimé dans le livre de l’Apocalypse. Nous voyons, au ch.12, une femme enveloppée de soleil, la lune sous ses pieds, une couronne de 12 étoiles sur la tête.
Cette femme était enceinte et dans les douleurs de l’enfantement. Elle était porteuse de vie et d’espérance. Apparaît un dragon rouge feu, il se dresse devant la femme afin de dévorer son enfant lorsqu’elle aurait enfanté.

Ce dragon est le dragon de la violence, de l’inimitié, du racisme, de la haine, de la division entre frères et de la division intérieure.
C’est aussi le dragon d’un système que l’homme a mis en place, un système économico-financier, système de production-consommation qui accapare l’homme à l’extérieur, qui le détourne et l’amène vers l’oubli de lui-même, l’oubli de ce qu’il est, l’oubli de sa vocation, l’oubli de sa réalité profonde.

L’homme fuit sa beauté, il a peur de la vie, il a peur de ce qui pourrait surgir au-dedans de lui, le dépasser et finalement l’amener à entrer dans un dépouillement mais le dragon, c’est-à-dire tout ce qui a été mis en place, tout ce qui est tentative d’oubli ne vaincra pas.

Il est dit dans l’Apocalypse que pour y échapper, il faut partir au désert. La femme s’en va au désert où elle se réfugie 1260 jours. Elle part au désert, elle fuit le monde, elle part vers le cœur, elle part vers la Présence.

Ainsi pour ne pas se perdre, l’homme est invité à fuir vers le plus intime de lui-même que lui-même. Ceci n’est pas une prose stérile, mais l’urgence de ce temps. Celui qui ne sait pas se garder intérieurement sera mangé, mangé par l’ignorance, mangé par l’illusion du visible, illusion de la réalité de ce monde en tant que seule réalité close sur elle-même.
Il nous faut partir au désert, pénétrer dans le désert du cœur, là où le vent de l’Esprit souffle, là où la mémoire est ravivée, là où Marie a trouvé son ressourcement, là où elle a participé déjà de la vie du Royaume.

Partir au désert, c’est fuir vers quelqu’un, c’est finalement s’ouvrir à la relation qui nous est sans cesse proposée pour vivre cette relation d’amour tant attendue : être aimée, aimer, car c’est à quoi aspire profondément tout être humain.

« Quelle est celle-ci qui sort du désert appuyée sur son Bien-Aimé ? » chante le Cantique des Cantiques. Quelle est celle-ci qui s’étant retirée au désert a vécu la relation d’amour, s’est livrée à l’unique nécessaire, à l’unique essentiel et qui revient dans ce monde non pour se réasservir au monde mais pour servir le monde, pour annoncer justement un renversement des valeurs ?

Il est dit dans ce magnifique cantique qu’exprime Marie lors de sa rencontre avec Elizabeth : « Mon âme magnifie le Seigneur et mon Esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur. Toutes les générations m’appelleront bienheureuse, car il a fait en moi de grandes choses, celui qui est vivant ».
Et elle dit : « Il élève les humbles, renvoie les riches les mains vides »…

Ainsi elle appelle à un renversement des valeurs, à revenir vers Celui qui est venu parmi les hommes non pour être servi mais pour servir, non pour exploiter mais pour aimer, non pour accumuler mais pour partager.
Il est venu donner à boire, nourrir les affamés, guérir les cœurs blessés, redonner courage à tous ceux qui se sentent vulnérables par l’assurance de Sa Présence : « Voici je suis avec vous tous les jours de ma vie jusqu’à la fin du monde ».

Souvent, il nous manque la force d’assumer notre vulnérabilité mais la force, c’est Lui. Il nous manque le courage d’assumer notre vie au milieu des turpitudes existentielles mais notre courage, c’est Lui. Il nous manque l’audace de la vie mais l’audace de la vie, c’est Lui.
Et ainsi, il nous faut fuir vers le Christ afin qu’en Lui nous puissions assumer notre plus grande richesse, c’est-à-dire, notre sensibilité et notre vulnérabilité, que nous puissions assumer cette richesse car il ne s’agit pas seulement de la découvrir mais de la laisser vivre, de la laisser se révéler en nous et finalement de la laisser se déployer par le service de l’autre.

Nous sommes dans un monde où chacun cherche à être servi et à dominer l’autre, à asservir l’autre, pour retrouver un supplément de richesse.
L’Évangile nous appelle à l’inverse, à servir Dieu et l’autre. Servir ainsi dans une disponibilité, dans l’humilité qui permettent de communier à la Source, de pouvoir se déployer et finalement faire que notre identité profonde – ce que nous sommes- puisse se révéler par le service, c’est-à-dire, le don de soi. C’est bien ce que le Christ a révélé à la femme samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu ».

Ce don, nous pouvons en prendre la mesure par le service car le don de Dieu, le don gratuit de l’amour, s’exprime au fur et à mesure qu’on le donne, au fur et à mesure qu’il s’exprime envers tous ceux qui ont faim, qui ont soif, tous ceux qui crient leur détresse.

Servir c’est aussi annoncer l’Évangile à tous ceux qui cherchent le Royaume sans quelquefois savoir ce dont il s’agit. Servir fait entrer dans l’esprit de Marie.
Marie, qui sans cesse prie pour tous les êtres humains, qui est notre avocate infatigable et qui pas son intériorité fait appel à notre intériorité, nous conduit au désert pour que là, nous rencontrions le Bien-Aimé et que nous puissions vivre avec ceux qui vivent ce même chemin : Le Royaume des Cieux est au-dedans de nous ?

Marie nous dit aujourd’hui que Dieu est avec l’homme-Emmanuel que le Royaume des Cieux est au-dedans de nous et parmi nous. Pourquoi allons-nous vers la mort au lieu d’aller vers la vie ? Pourquoi ne célébrons-nous pas la gloire de Dieu au lieu de célébrer la gloire vaine des hommes ? Pourquoi perdre du temps à ce qui ne vaut rien au lieu de se donner à ce qui vaut : La gloire de Dieu dans les siècles des siècles, Amen.

Père Philippe Dautais