L’Eglise orthodoxe face au défi écologique

Le constat et la nécessaire mutation de nos modes de vie

Les enjeux climatiques qui pèsent sur les générations à venir, nos enfants et petits enfants, cristallisent l’immensité des défis auxquels l’humanité est confrontée à l’aube du XXIe siècle. La 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP 21) qui se réunira à Paris en décembre en est l’expression. Aujourd’hui, la majorité des scientifiques, au vu de nombreuses études qui ont été faites, s’accorde à reconnaitre que le réchauffement de la planète est en grande partie due à l’activité humaine, notamment par la combustion des énergies fossiles, la production de CO2 et de méthane. Combustion proportionnelle à la production toujours croissante des biens de consommation. L’utilisation effrénée des énergies bon marché a nettement amélioré les conditions de vie de ceux qui en ont bénéficié. Elle a aussi été la cause du développement de l’agriculture chimique, de l’épuisement des ressources halieutiques, de la pollution atmosphérique et des nappes phréatiques, de la déforestation puis de l’érosion des sols et a engendré une culture des déchets dont les conséquences deviennent insoutenables. Nous atteignons une situation limite.

La planète ne peut pas suivre le rythme du prélèvement des ressources naturelles. Nous sommes en train de les épuiser. Nous vivons au dessus de nos moyens et sommes en train de dépasser les possibilités offertes par la planète terre. Si nous maintenons notre consommation actuelle de pétrole, de charbon et de gaz, la température moyenne augmentera de 5° pendant le 21e siècle. Les effets sur l’écosystème sont imprévisibles et seraient de toute façon désastreux. Nous n’avons qu’une seule « maison commune » dont les limites deviennent incompatibles avec le style de vie prédateur qu’un tiers de l’humanité s’est arrogé au détriment des deux tiers.

La logique consumériste dans laquelle nous sommes inscrits n’est plus soutenable, d’autant qu’elle tend à se mondialiser. Force est de constater que tous les efforts envisagés ne suffisent pas. Les solutions techniques, l’investissement dans les énergies solaires et éoliennes, d’une part, l’encouragement aux économies d’énergies, d’autre part, sont nécessaires et utiles mais ne peuvent répondre à elles seules aux défis actuels. Il est vain de nous faire croire que nous pourrons demeurer dans la logique consumériste et économique, qui n’a comme seul critère que le PIB, et laisser une planète vivable aux générations futures. Un changement de direction est nécessaire et urgent, vu l’inertie des systèmes. Il implique un sursaut de conscience. Si cette mutation peut s’appuyer sur les progrès techniques, son point d’appui essentiel est éthique.

L’enjeu est éthique plus que technique

Nous sommes liés par une communauté de destin. C’est ensemble, les uns avec les autres et non les uns contre les autres, que nous pourrons assumer la mutation. Il nous faut redonner une place aux minorités pour qu’elles nous enrichissent de leur patrimoine culturel. Le défi n’est pas avant tout technique mais éthique, il n’est pas tant dépendant des prouesses scientifiques que de notre capacité à gérer la situation et les moyens techniques qui sont mis à notre disposition. Nous avons investi toute notre énergie dans les progrès techniques, il nous faut maintenant investir dans le progrès éthique et la croissance spirituelle. La mutation du monde passe par la mutation intérieure de chaque être humain. Ceci vaut pour les changements systémiques nécessaires. Sans une nouvelle conscience éthique, comment faire évoluer positivement les systèmes économiques et financiers ?

D’autre part, nous devons rappeler que notre vocation profonde, le sens de notre vie sur terre, est de faire naître Dieu dans notre cœur et d’advenir en tant que personne unique, en tant que sujet responsable de notre devenir. La crise que nous traversons révèle une tension entre ce que nous sommes dans la profondeur et ce que nous faisons de notre existence. Ne serait-elle pas une invitation à retrouver « l’unique nécessaire », une manière de nous situer face à la question du sens ?

Ré-orienter les perspectives

Le changement de direction suppose un changement de regard, une ouverture sur une nouvelle vision du cosmos tel qu’il est exprimé magnifiquement par Miguel D’Escoto Brockmann, Président de l’Assemblée générale des Nations Unies lors du G12 en 2010: «Nous avons pleinement exploité un capital matériel fini, il nous faut désormais travailler avec le capital spirituel qui est infini, parce que nous avons une capacité infinie à aimer, à vivre ensemble en tant que frères et à pénétrer les mystères de l’univers et du cœur de l’homme ».

La terre subit l’action dévastatrice de l’homme. La racine de la situation actuelle est dans le cœur de l’homme, dans son mode de rapport au monde qui est marqué par la convoitise, l’avidité, l’esprit de prédation, l’égoïsme, la cupidité. Ces dérives expriment les passions humaines qui se sont investies dans la recherche du profit et des richesses extérieures plutôt que de s’appliquer à l’amour du prochain et au service de tous les êtres, du vivant.

Maxime le Confesseur, déjà au 7e siècle, l’exprimait de la manière suivante: « Nous avons préféré les choses matérielles et profanes au commandement de l’amour et parce que nous y sommes attachés, nous luttons contre les hommes alors que nous devrions préférer l’amour de tous les hommes à toutes les choses visibles et même à notre corps »(1). Il soulignait que la convoitise conduit vers l’inimitié voire la haine de l’autre. Elle nous fait considérer notre prochain comme un rival, un concurrent puis finalement un ennemi. Elle introduit donc une déviation et un mensonge.

Déviation car elle nous fait haïr au lieu d’aimer. Mensonge, car elle nous présente l’autre comme un étranger, alors même que nous participons avec lui de la même chair, de la même humanité. C’est donc par un changement d’état d’esprit et une élévation de la conscience que nous pouvons espérer une issue positive et salutaire. Les prouesses technologiques aideront mais ne modifieront pas la logique actuelle. Le militantisme écologique et citoyen est nécessaire mais insuffisant, le véritable enjeu est plus profond, il touche au cœur de l’homme : il est spirituel.

Nous avons la conviction que la mutation du monde passe par la mutation intérieure de chaque être humain. Les causes de l’impasse actuelle ne sont pas extérieures à l’homme mais intérieures, elles s’appellent : convoitise, avidité, cupidité, désir de puissance, égoïsme… Elles viennent du cœur. C’est donc à partir d’un changement de regard, d’une conversion du cœur que peut se déployer la mutation de nos sociétés vers le respect de la dignité de chaque humain et un juste rapport à la nature. La crise multiforme qui émerge de toutes parts est avant tout spirituelle avant d’être économique, sociale, écologique, financière…

La sagesse bi-millénaire de la tradition chrétienne orthodoxe au service de la mutation

La crise écologique est étroitement liée à notre vision du cosmos, à notre mode de relation avec la nature, au sens ou à l’absence de sens que nous donnons à notre existence. La tradition chrétienne orthodoxe qui puise dans une sagesse millénaire peut nous aider à ouvrir des horizons nouveaux et insuffler une réflexion bénéfique pour faciliter la mutation actuelle. Par la richesse de sa théologie cosmique, elle peut nous réintroduire dans une juste vision du cosmos et un juste rapport à la nature. Sa pratique ascétique peut inspirer une véritable mutation des comportements et favoriser une conversion vers une sobriété heureuse qui ouvre sur une vision enchantée du monde faite d’émerveillement et de gratitude.

Poser un regard d’aurore sur l’univers du vivant

La voie spirituelle invite à revenir vers le dedans, vers la profondeur pour se rencontrer soi-même et plus grand que soi en soi. Dès le début de l’Evangile selon saint Matthieu, Jésus nous montre le chemin : « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » Mat6/6. La prière est la voie d’accès à l’intime et à Celui qui est mystérieusement présent. Elle favorise une rencontre avec soi pour une rencontre de cœur à cœur avec l’autre, une rencontre d’intériorité à intériorité avec tout être. Elle opère un forage sous la carapace de l’égo pour rejoindre l’être véritable. C’est à partir de l’être et non de l’égo que la mutation vers un autre paradigme se réalisera et que la conscience éthique se développera. La descente vers la profondeur nous fait quitter le rapport passionnel au monde, nous fait prendre de la hauteur et par là provoque une ouverture 3

du regard sur des dimensions plus vastes qui change notre rapport à la réalité. Notre comportement se règle sur notre vision du monde, c’est pourquoi toute mutation s’origine dans une nouvelle vision. D’où l’importance de la méditation et encore plus de la prière. La prière nous fait entrer dans une relation vivante et aimante avec Celui qui fait être toutes choses, de plus, elle nous dispose au Souffle de l’Esprit qui seul peut nous régénérer pleinement, nous rendre pleinement vivants et nous ouvrir sur une juste vision du réel.

Dans cet enracinement, l’être humain développe naturellement une posture de bienveillance, de respect de soi et des autres, de la vie, de la nature qui favorise les liens de solidarité et de convivialité et sont propices au « vivre ensemble ». Cela nécessite d’ouvrir le regard et de le libérer de son caractère « chosifiant » qui réduit tout à des objets et nous ferme sur un monde clos. Il convient de retrouver la dimension sacrée du cosmos.

La désacralisation du monde

« La crise écologique », déclare le théologien orthodoxe Jean Zizioulas, est « la crise d’une culture qui a perdu le sens de la sacralité du cosmos, parce qu’elle a perdu sa relation à Dieu ». La désacralisation du monde est la conséquence d’une vision objectivée de la nature qui s’est imposée peu à peu en Europe, particulièrement en France, à partir du XVIe siècle. Le tout a été considéré de manière horlogère comme un ensemble de pièces indépendantes. On peut démonter entièrement une horloge et connaitre chacune de ses parties. Le tout est identifié à l’ensemble des éléments qui le composent. Ce processus de réification a transformé tout ce qui existe en objets puis en marchandises : le monde matériel, la nature, le vivant. Nous en sommes à commercialiser même les organes humains : œil, rein, foie… Chosifiant la nature nous en venons à chosifier l’être humain et à le réduire à une machine (projet du transhumanisme). Le monde est devenu un immense magasin de marchandises, un hyper marché où tout se vend et s’achète. Tout ce qui existe est objectivé, placé dans un rapport d’extériorité et considéré comme une réalité en soi. Au XXe siècle, la physique des particules a mis en évidence la fiction de l’objet en montrant que tout est interdépendant et que chaque particule n’a d’existence qu’en inter-relation avec d’autres particules. La complexité du tout se révèle être beaucoup plus que l’ensemble des parties. Un organisme humain est plus complexe qu’une horloge. Le matérialisme est réductionniste, il ne perçoit que l’extériorité de la réalité, que les apparences et par là nous entraine dans un monde d’illusions dont on fait commerce. Il est l’expression du mode de l’exil où tout est fragmenté. Nous avons coupé les liens profonds avec la nature, l’autre, puis avec nous-même jusqu’à rejeter Dieu comme « une hypothèse inutile ». L’exil de la profondeur nous a entrainé vers une culture de la superficialité.

L’écologie ou la redécouverte de l’univers vivant

Ecologie vient de « oïkos » qui signifie maison, habitat, et aussi patrimoine. Ce mot nous renvoie à la responsabilité de l’être humain par rapport à notre maison commune et au patrimoine (à savoir l’univers du vivant ainsi que les ressources) qui est à notre disposition, dans la considération des générations futures.

L’écologie ne se résume pas à la science de l’environnement, elle s’étend à l’ensemble du monde vivant et s’intéresse particulièrement aux inter-relations et inter-actions entre les différents règnes : minéral, végétal, animal et l’homme. De ce point de vue, elle fait le lien entre différentes disciplines : la biologie, la chimie, la physique, l’économie…son mode est la transdisciplinarité. A ce titre, nous pouvons la définir comme une science du vivant.

Celle-ci révèle l’Unité du vivant qui se conjugue avec la diversité des espèces. Tout est en inter-relation et en inter-dépendance. Chaque espèce végétale et animale a sa place. Le vivant est composé des mêmes molécules de base. Cela explique qu’une espèce puisse se nourrir d’une autre : en digérant, la première réutilise les éléments de la seconde, mais en la réarrangeant à sa manière. Nous ne pouvons pas vivre sans l’air, sans l’eau, sans les espèces végétales et animales. Le Tout est nécessaire à chaque partie. La totalité cosmique est cohérente.

Fondements bibliques et théologie cosmique

La crise écologique nous pousse à revisiter la parole biblique et à renouveler notre vision du cosmos et par là notre rapport à la nature et au cosmos. Il est utile de préciser que selon le livre de la genèse, l’homme est un être naturel créé le 6e jour en même temps que les animaux de terre. Il faut sortir de l’idée dualiste qui situe l’être humain dans un environnement. Une inter-relation étroite nous lie avec le cosmos, nous sommes micro-cosmos. Donc tout ce qui concerne le cosmos nous concerne et réciproquement. Ce que nous faisons au cosmos rejaillit de facto sur l’humain. Cependant, selon le premier chapitre de la genèse, l’être humain porte une dimension transcendante, il est créé à l’image de Dieu. Cela signifie qu’il y a en l’être humain une dimension qui échappe à toute emprise cosmique, à tout déterminisme génétique. Il ne peut être réduit à son corps et aux éléments cosmiques qui le constituent. Il est un être naturel capable de conscience et capable d’ouverture à la transcendance. Il ne pourrait penser l’infini s’il était totalement enclos dans le fini.

Avant tout, les Pères ont fait la distinction entre l’incréé et le créé, entre le Créateur et la créature. Ils ont rappelé la dimension transcendante de Dieu qui est Tout Autre par rapport au cosmos créé et à l’être humain. Ainsi l’homme n’est pas de nature divine mais créé à l’image de Dieu. Cette distinction n’introduit pas un dualisme, elle fait coïncider l’altérité et la parenté entre l’homme et Dieu. A ce titre, je me permets de préciser ce que les chrétiens orthodoxes entendent par « image de Dieu ».

 

Avant tout, l’homme, créé à l’image de Dieu, est le reflet de la beauté divine, avant tout il est une merveille de Dieu. Dans son être profond sont inscrites les qualités divines dont l’amour est la synthèse. C’est donc l’amour qui est originel et non le péché. C’est la liberté qui est originelle et non l’aliénation, c’est la joie qui est originelle et non l’amertume, c’est la santé qui est originelle et non la maladie. L’homme créé à l’image de Dieu est porteur de sa propre liberté « car le divin est transcendant à l’homme et en même temps, le divin est mystérieusement uni à l’homme. C’est cela et cela seul qui rend possible l’apparition dans le monde de la personne non asservie au monde » Berdiaev (esclavage et liberté p 48). Lequel ajoutait : Dieu est une liberté réalisée, l’homme est une liberté en voie de réalisation, en voie d’accomplissement.

Le Cosmos révélé comme œuvre et don de Dieu

Dans le livre de la genèse, au premier chapitre, par dix fois, il est écrit : « Dieu dit ». Dieu crée le cosmos par dix paroles. Le cosmos se présente comme incorporation de la Parole divine. Il est une pré-incarnation du Verbe et sacrement de la Parole. Chaque élément cosmique est lié au Verbe qui fonde son existence. Ce que confirme l’apôtre Jean dans son prologue : « Dans le principe est le Verbe, et le Verbe est vers Dieu et le Verbe est Dieu. Par Lui, tout a été fait et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans Lui » (Jean 1/1-3). L’apôtre Paul précise : « C’est par la foi que nous reconnaissons que l’univers a été formé par la parole de Dieu, en sorte que ce que l’on voit n’a pas été fait de choses visibles » (Heb 11/3).

Selon la Bible, nous pouvons dire que chaque chose est fondée par la Parole de Dieu. Rien n’existe qui ne soit parole et pensée de Dieu.
L’Univers tout entier est sous-tendu par la Parole de Dieu et par le rayonnement des énergies divines, par le Verbe et l’Esprit. Le feu de la divinité rayonne dans le cosmos.

Pour suppléer la défaillance humaine, la difficulté d’une majorité d’êtres humains à reconnaître le cosmos comme une création de Dieu, la révélation biblique vient compléter la révélation naturelle. Ce que l’homme n’a pas saisi par lui-même, Dieu vient le lui dire par le témoignage de Moïse dans la Torah et de Salomon dans le livre de la Sagesse : « Vains par nature tous les hommes en qui se trouvaient l’ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles n’ont pas été capables de connaître Celui qui est, et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’artisan …Car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie contempler leur auteur » (Sagesse 13/1-5). La beauté de la création, selon le livre de la sagesse, est le reflet de la beauté divine.

Dieu en sa création

Dans l’épître aux Romains (1/20), saint Paul exprime avec force ce lien mystérieux entre Dieu et sa création : « en effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se voient comme à l’œil nu, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables… » L’ouvrage de Dieu est sa création. L’apôtre Paul affirme que l’on peut voir comme à l’œil nu, au sein de la création, la puissance éternelle de Dieu et même sa divinité. Il nous montre que le monde visible contient un enseignement sur le monde invisible, que cette terre, le cosmos sont signifiants des réalités célestes. Appel à ouvrir le regard pour percevoir au-delà des apparences, la réalité profonde, à voir Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu.

Le cosmos comme Buisson ardent

Pour approcher ce mystère, il nous faut revenir à la révélation extraordinaire du Buisson Ardent.
Moïse « vint à la montagne de Dieu, à Horeb ». Il eut cette expérience d’ouverture du regard sur la profondeur du réel : « Le buisson ardent était tout en feu et ne se consumait pas » (Exode 3-2). Dieu lui demanda d’ôter ses sandales, de ne pas piétiner cette contemplation par une curiosité malsaine qui veut capter, mais de se laisser saisir. Pour contempler ce mystère, comme Moïse, nous sommes appelés à nous dépouiller de nos regards chosifiants, de nos projections mentales, de nos rationalités objectivantes pour accéder à une autre perception. Invitation à ouvrir notre regard au delà de nos préjugés, de nos concepts et accepter de se laisser saisir, de se laisser toucher, de contempler, d’écouter gratuitement sans idée de récupération. En simplicité, accueillir la découverte du cosmos comme une théophanie (1), une manifestation de Dieu. Le buisson ardent nous enseigne que le cosmos visible est la parure de l’invisible. Ce que l’on voit du cosmos n’est que l’apparaître des choses, les apparences sont le voile d’une réalité plus profonde qui n’est pas perçue par celui qui n’a pas des yeux pour voir ou des oreilles pour entendre.

Se faisant, l’homme enfermé dans l’apparaître et l’extérieur des choses, limité aux apparences, n’a pas accès à la révélation naturelle. Il ne sait pas la lire et se trouve dans l’impasse du non-sens ou de l’absurde.
Dans cette situation, la Révélation Biblique lui vient en aide. Par elle, Dieu, de sa propre initiative, entre en relation avec l’homme, Il se fait connaître et vient mettre en évidence l’univers comme création.

Ainsi, la révélation Biblique ouvre sur la dimension verticale de l’histoire et sur le dialogue divino-humain au cœur du déroulement évènementiel. Dieu parle aux hommes et des hommes engagent leur vie en réponse à l’appel de Dieu. Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, sont autant de figures qui ont mis en pratique la loi et

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ont obéi à l’appel de Dieu. Ils ont inscrit leur vie dans la relation à Dieu et ont permis à Dieu d’intervenir dans l’histoire, pour l’orienter vers son accomplissement.
La Bible montre le sens du cosmos par le dévoilement du projet divin, elle est par excellence le livre du sens. Toute l’Ecriture sainte est orientée vers l’accomplissement qui donne sens à toute l’histoire et à la création même. Ainsi, ceux qui ont reçu la révélation Biblique ne peuvent plus ignorer la révélation naturelle sous peine de faire de la Parole de Dieu une lettre morte.

Dans cette perspective, et c’est l’urgence de notre temps, tous les chrétiens sont appelés à entrer dans une culture de l’attention pour déchiffrer le mode de présence de Dieu dans le cosmos et entrer dans une connaissance symbolique qui dépasse la seule rationalité. Et avec eux, toute l’humanité. Ensemble, sortir d’une connaissance dualiste et s’émerveiller de l’unité ontologique du cosmos qui n’est pas coupé de l’invisible. Moïse et la Bible nous invitent à entrer dans la profondeur symbolique où tout devient signifiant. Mais qu’est-ce que le symbole ?

Le symbolisme chrétien

Le symbolisme chrétien n’exprime rien d’autre que l’union sans confusion en Christ du divin et de l’humain, dont le cosmos devient le lieu du dialogue. Le fondement de tout symbole est le Christ lui-même qui est vrai Dieu et vrai homme. Présence du Créateur dans la créature sans que les deux ne puissent jamais se confondre. Tout est récapitulé dans le Logos.

La lecture symbolique est contemplation de la gloire de Dieu cachée dans les êtres et perception de l’invisible dans le visible, de l’impalpable dans le palpable. « Depuis la création du monde, les choses invisibles sont contemplées à travers les créatures » (Rom 1/20). Ce que Dieu a d’invisible est rendu manifeste par les choses visibles ; ce qu’on ne voit pas par ce qu’on voit ; il nous montre ainsi que « ce monde visible contient un enseignement sur le monde invisible et que cette terre renferme certaines images des réalités célestes. » Origène S p199. La création, pour ceux qui ont des yeux pour voir, est une fenêtre ouverte sur l’invisible : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament proclame l’œuvre de ses mains » (Ps 18/19).

Saint Isaac le Syrien (7e S) voyait le cosmos comme un océan de symboles. Le symbole désigne la présence du symbolisé dans le symbolisant. C’est le symbole qui rend compte de la vraie réalité, son fondement est l’incarnation du Verbe, de la Parole. Le symbole n’est pas une comparaison mais l’expression de la relation ontologique avec le Créateur. Le Christ est lui même l’intériorité de tout ce qui existe. Il est le verbe fondateur de tout ce qui est : « Par lui tout a été fait et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui » Jean 1/3. Donc, toute créature est l’expression d’une parole qui la fonde.

Le cosmos est un espace dialogal

Le cosmos se révèle espace d’un immense dialogue, des paroles sont adressées à l’être humain, elles attendent d’être accueillies, de trouver un écho. « Océan de symboles », il est accessible dans une lecture poétique où tout devient signifiant.
Dieu nous parle par tout le créé, il nous appartient d’apprendre à lire les Paroles substantielles en chaque chose. Savoir lire pourrait être ici la vraie acception du mot « religion », en tout cas celle qui peut faire sens pour nous aujourd’hui. On fait généralement procéder étymologiquement ce mot du terme latin « religare » que l’on traduit par « relier ». La religion nous donne la possibilité de nous relier au divin par les rites. Les rites nous éveillent aux mystères. Ils sont une première initiation. La maturation spirituelle nous conduit à reconnaitre une autre étymologie toute aussi légitime : « religere » qui nous invite à une lecture verticale, non celle horizontale des phénomènes, mais une lecture signifiante, qui fasse sens. Le plus important n’est plus ce qui m’arrive mais en quoi cela me parle et m’enseigne en vue d’une transformation intérieure. Passage de l’extérieur vers l’intérieur. Découverte que nous sommes inclus dans un univers relationnel où tout est signifiant. Cette translation dans la compréhension de la religion est clairement mise en évidence par le Christ dans son dialogue avec la femme samaritaine (Jean 4/21-23) : « l’heure vient ou ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père dans l’Esprit et la vérité ». Parole qui peut être aussi traduite par « dans le Souffle et l’attention ». Invitation à reconnaitre « la gloire de Dieu cachée dans les êtres et les choses », à lire et célébrer cette Présence multiforme du Logos dans les éléments cosmiques qui éclatent dans la diversité des minéraux, végétaux, animaux et se synthétisent en l’être humain. Cette diversité, riche des multiples spécificités, exprime l’écho de la Présence Divine.

L’écho-logie

Cela nous amène à considérer une nouvelle facette de l’écologie : « l’écho-logie », c’est à dire la science des réverbérations de la Présence de Dieu dans le cosmos. De même que les sciences empiriques se sont appliquées à découvrir les lois cosmiques qui sont actives depuis des milliards d’années, l’écho-logie a pour objet de déchiffrer le langage de la sagesse divine inscrit dans le cosmos. Les peuples premiers, les poètes, les mystiques, les cueilleurs d’essences de plantes nous ont précédés sur ce chemin. Nous avons à nous inscrire dans leur sillage en veillant à ne pas confondre le signifiant et le signifié, la Parole et sa traduction cosmique. Il ne faut pas confondre la lumière et les objets qu’elle éclaire.

Le cosmos est un livre, mieux une bibliothèque, où se donne à lire le langage de l’amour de Dieu. Mais, au lieu de déchiffrer les messages, de lire chaque livre de cette bibliothèque que nous ignorons, nous la convertissons en combustibles, nous la 9

brûlons. Avides de posséder toujours davantage, inscrits dans une vision matérialiste qui réduit le vivant à une collection d’objets vite transformés en marchandises, nous brûlons toute l’énergie du monde et alimentons avec frénésie la logique production- consommation qui est énergétivore. Depuis deux siècles, les pays occidentaux ont prospéré grâce à l’énergie bon marché puis ont entrainé à leur suite tous les pays de la planète. Nous consumons les énergies fossiles, nous brulons les forêts, nous stérilisons les sols avec des produits chimiques, nous épuisons les ressources naturelles et détruisons les écosystèmes pour produire toujours plus de calories ou de marchandises. Inconscients des limites et peu préoccupés des conséquences pour les générations futures, nous nous livrons au gaspillage et engendrons une « culture du déchet », lesquels seront incinérés. La combustion produit de la chaleur, la chaleur et les émissions de CO2 participent du réchauffement climatique qui amplifie le processus destructeur. Nous devrons réduire notre consommation d’énergie, ce qui est l’enjeu actuel. A défaut, nous allons franchir des seuils tels que la vie sur terre sera menacée, notamment par la destruction de la biodiversité.

La bio-diversité est notre pharmacopée

Chaque végétal et chaque animal est porteur d’une information unique. Devons nous rappeler que la diversité des êtres vivants constitue la richesse de notre pharmacopée. L’unité du vivant se conjugue avec la diversité des espèces. Tout est en inter-relation et en inter-dépendance, tout est en équilibre. Chaque espèce végétale et animale a sa raison d’être. Or, une espèce disparaît toutes les 18 minutes alors même que nous n’avons pas encore découvert le quart de la richesse de la bio-diversité. C’est dire que nous sommes assez ignorants des pertes que nous engendrons et du préjudice que cela représente pour toute l’humanité. Nous brûlons les médicaments naturels. Il en est de même au plan culturel. L’immense richesse de la pluralité culturelle disparait au bénéfice d’une culture dominante, celle de l’économie libérale. C’est un drame immense. L’éveil de conscience de l’être humain est urgent. Un changement de paradigme est nécessaire. Tout d’abord, retrouver une sensibilité au vivant, éveiller notre capacité d’émerveillement. La sensibilité à l’autre, au vivant ouvre sur une autre vision du monde qui se conjugue difficilement avec l’esprit de prédation et de destruction. Il nous faut promouvoir une culture de l’attention, de l’étonnement, de l’émerveillement pour favoriser la lecture signifiante du cosmos et ainsi inaugurer une nouvelle alliance avec le vivant fondée sur une rencontre intérieure et non plus extérieure. Le rapport extérieur a été le fruit de l’objectivation de la réalité qui réduit tout à un ensemble d’objets que l’on transforme rapidement en marchandises pour finalement faire triompher le pouvoir de l’argent. L’écologie militante et politique doit assumer une révolution des consciences, un saut qualitatif, disons le, une mutation spirituelle pour être en adéquation avec le respect du vivant qui est un et indivisible.

Pour une culture de l’attention

Dans le Souffle de l’Esprit, tout est signifiant, ce monde est allusif, il est un espace dialogal, le lieu d’un immense dialogue entre Dieu et l’homme. Ce qui appelle une ouverture du regard et une culture de l’attention. Laquelle a été très négligée dans les milieux chrétiens à cause de la perte de conscience du cosmos comme buisson ardent. Pour les pères du premier millénaire, l’attention est la clé et le nerf de toute vie spirituelle. Un être spirituel est un être attentif qui recueille partout des significations. Il est donc éveillé et perçoit plus que le visible et le palpable. Il est entré dans un univers relationnel où tout est symbolique.

Panthéisme et panenthéisme

L’expérience du Buisson ardent, cette théophanie, ne signifie nullement une confusion entre Dieu et le cosmos. Cependant, tout en affirmant Dieu comme créateur et transcendant au cosmos, elle met en évidence le cosmos comme fruit de la parole divine et animé par les énergies divines.

Le panthéisme tend à identifier Dieu avec les forces de la nature et ainsi à déifier les puissances cosmiques. Ce qui confine à l’idolâtrie avec comme conséquence de rendre l’homme superstitieux et asservi aux puissances naturelles.
Le panenthéisme condamne tout à la fois l’idolâtrie et la tentation de renvoyer Dieu dans une totale transcendance, dans une kénose absolue, qui le rendrait étranger au cosmos. Il affirme au contraire l’union sans confusion en Christ du céleste et du terrestre, le cosmos comme réceptacle de la parole et des énergies divines, temple de sa présence. Le panenthéisme est le fruit de la contemplation unitive et de la connaissance symbolique. Il unit sans confondre et distingue sans séparer. Il fait sortir de la fusion immanentiste propre à la tradition de l’Inde et écarter la pensée dualiste très marquée en occident. Et Dieu est totalement transcendant et il rayonne par ses Energies dans sa création.

Saint Grégoire Palamas, un grand maître spirituel du 14e siècle, affirme dans la fidélité à la Tradition hésychaste, la distinction entre Dieu inconnaissable dans son essence mais qui se fait connaître par ses énergies. Dieu est totalement transcendant en son être, inconnaissable, insaisissable et pourtant accessible dans ses énergies, par sa parole et le rayonnement de sa grâce. D’une manière analogique, nous pouvons dire que le soleil brille et est en soi inatteignable mais nous connaissons le soleil par participation car nous bénéficions de sa chaleur et de sa lumière. L’être humain a pour vocation de devenir participant de la nature divine (2Pierre 1/4), des énergies divines, en se laissant pénétrer par la grâce, mais Dieu, en ce qu’Il est, restera un mystère inépuisable. Nous sommes appelés à connaître Dieu par participation et cette connaissance sera sans limite. Ainsi, dans le dynamisme de la croissance spirituelle, Dieu devient pour l’âme à la fois toujours plus intime et toujours plus transcendant. 11

Plus on possède Dieu, plus on veut le chercher. Dieu est toujours au delà de ce que

nous atteignons et requiert sans cesse de notre part un nouveau progrès, « de

commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin » Grégoire de Nysse.

Dieu œuvre en l’homme et dans sa création

La parole de l’apôtre Paul (Rom 1/20) nous ouvre sur l’expérience intérieure et nous montre qu’à travers la nature, à travers les événements, la créature consciente peut voir la toute puissance de Dieu, sa bonté, sa sagesse, sa patience et apprendre du créateur à tendre vers l’union finale avec Lui, désirant participer de ses qualités. Par une relation quasi sacramentelle au cosmos, l’homme conscient perçoit les perfections invisibles de Dieu, sa divinité et désire y communier. Par là, il se libère de l’emprise de la nature pour devenir apte à la vie éternelle.

Cette libération vient tout d’abord par la révélation que le cosmos est créé par Dieu transcendant. Puis par la révélation que Dieu entre en dialogue avec la création et plus particulièrement avec l’homme. C’est dire que Dieu parle et agit continuellement par les êtres et les choses, par la création des circonstances toujours nouvelles, à travers lesquelles il appelle chaque homme à s’unir à Lui et à ses semblables et par lesquelles il répond à chaque instant aux appels des hommes.

Vivre en Christ, c’est vivre ce dialogue. Dieu parle et agit dans les événements, ce qui ne veut pas dire que l’événement est produit par Dieu, tel un tsunami, une guerre, un conflit. Pour autant, Dieu délivre une parole et enseigne l’homme par et dans les événements. Ceux-ci deviennent le signifiant de ce qui nous est signifié.

Les événements et les rencontres deviennent une occasion d’être à l’écoute de la pédagogie divine. « Ils seront tous enseignés de Dieu » (Jean 6/45). L’écoute est l’attitude fondamentale du disciple. Apprendre à se taire, à faire silence pour écouter ce que le Christ signifie dans le quotidien. Dieu parle à l’oreille des hommes.

« Le Seigneur Dieu m’a donné la langue des appreneurs pour que je sache ranimer d’une parole l’homme fatigué. Le matin, il me réveille, il éveille mon oreille pour écouter comme écoute les appreneurs (disciples). Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille et je ne me suis pas révolté, en arrière je n’ai pas reculé » (Isaie 50/4-5).

La prière est d’abord écoute. Shema Israël.
Le dialogue suppose l’écoute donc l’attention à l’autre. L’éveil de la personne dépend de la qualité d’écoute.
Pour un disciple, les événements, les circonstances, les œuvres sont autant de paroles incorporées, de paroles délivrées au cœur de l’histoire de l’homme.
Dieu nous parle aussi par les intuitions, par des pensées de Vie, d’amour qu’il suscite dans notre conscience ou d’une autre manière par un désir de repentir et de contrition lorsque nous avons blessé le prochain ou produit des actes que notre conscience nous reproche. Dieu parle aussi par les songes et les visions nocturnes.

Par tout cela, Dieu nous conduit comme par un dialogue continu vers notre perfection, sa présence devient plus claire et plus évidente. Dieu s’incarne en l’homme et chaque personne inscrite dans ce dialogue lui devient « une incarnation de surcroît ».

Vocation spirituelle de l’homme

Dieu invite l’homme à nommer les vivants (Hayoth), à percer le mystère de la vie, à saisir les vivants dans leur relation à la vie, dans leur signification spirituelle, à déchiffrer la gloire de Dieu cachée dans les êtres et les choses, à vivre le cosmos comme théophanie, manifestation de la gloire de Dieu (acte de conscience), à entrer dans l’expérience de la Théoria pour l’élévation de notre âme.
Le grand théologien roumain Dumitru Staniloaé montre ce que Dieu attend de l’homme dans une juste coopération : « Dieu attend de l’homme qu’il nomme les vivants, qu’il déchiffre les significations infinies que recèle les choses, qu’il marque celles-ci de son génie créateur, valorisant de son empreinte les dons reçus et les transformant en offrande ».
L’être humain est doué de conscience. Ce qui pose l’exigence de la responsabilité. Il ne peut pas faire comme s’il n’était pas capable de conscience.
Dieu l’invite à nommer les vivants non pour les dominer mais pour acquérir l’autorité sur les pulsions animales qui l’habitent afin de ne plus être sous l’emprise de ses pulsions mais de les ordonner à l’acquisition de la ressemblance. Dans ce sens, il lui était demandé de cultiver la terre et non de l’exploiter, de la garder et non de la piller, d’entrer dans un dynamisme de communion et non de consommation. Cela, il ne pouvait le réaliser que s’il acceptait d’investir son espace intérieur, de cultiver et de garder le jardin de son cœur. Or, l’être humain s’est détourné et se détourne de son intériorité pour préférer la conquête des espaces extérieurs et la domination du monde pour en tirer profit et confort. En rupture avec sa profondeur, il s’est exilé de lui- même, c’est la logique même de ce que l’on appelle l’égo : logique utilitariste, productiviste, consumériste qui épuise les ressources, logique égoïste et dominatrice. C’est l’égo qui interprète faussement le « dominer » du livre de la genèse.
Rupture de relation en profondeur qui devient rupture de la relation vivante avec les vivants, laquelle engendre une perception erronée de la réalité que l’on appelle : objectivation ou chosification. L’égo ne perçoit plus la dynamique de l’inter relation et en vient à réduire le monde vivant à l’état d’objets. L’ayant réduit à l’état d’objets, il lui a donné une valeur et l’a transformé en marchandises jusqu’à commercialiser les organes humains. C’est donc le regard qu’il faut changer, se laisser émerveiller par la beauté de la vie et sortir du regard captateur et objectivant.

L’exemple de Jésus de Nazareth

Le maître Jésus nous a donné la juste interprétation de la Bible, en particulier du terme « dominer » et l’exemple à suivre. Fortifié par la prière et par l’intimité de la relation avec son Père, marchait sur les eaux, apaisait les flots et les vents, guérissait les malades, chassait les démons et ressuscitait les morts. Celui qui, par son humanité semble s’être abaissé au dessous des anges est maintenant couronné de gloire et d’honneur (Heb 2/8-9), Il a tout « mis sous ses pieds », Il a acquis l’autorité sur l’univers (Mat 5/35 ; Actes 7/49) et sur le monde angélique (Heb 1 et 2). « Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds » dit le Seigneur (Actes 7/49).

Cet ascendant de l’esprit sur les réalités du monde exprime la restauration de l’homme ontologique : « vous pouvez accomplir tout ce que j’ai fait et bien plus encore ».

Jésus a fait le lien entre la capacité noétique de l’homme ou capacité spirituelle et la foi : «Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible» (Mat 17/20).

Cette autorité sur les éléments du monde renvoie à l’intégration de tous les mouvements intérieurs. L’intégration est un processus qui passe par l’attention, la distance qui permet de voir et de prendre conscience, de nommer puis d’intégrer. Chemin auquel l’homme est invité (Gen 1/19) pour acquérir la liberté intérieure.

Vivre la dimension noétique de son être, c’est accéder à cette capacité qui permet d’agir selon Dieu dans la foi.
Quand le texte de l’Evangile nous dit que le démoniaque après avoir été guéri par Jésus (Marc 5/15), était assis dans son « bon sens », c’est une manière simplifiée d’exprimer que Jésus a eu autorité sur « la légion » des mouvements chaotiques qui agitaient son âme et l’a ainsi libéré de son état pathologique. Il a remis de l’ordre. Par son logos, par sa parole, il a permis au possédé de retrouver un ascendant de son esprit sur les mouvements tyranniques de l’âme et du corps. Comme le montre le Christ, le chemin thérapeutique passe par l’exercice de la capacité noétique de l’être humain.

L’empreinte écologique du Christ

Le récit de la vie de Jésus de Nazareth est marqué par la simplicité. Juste après son baptême et la triple tentation au désert, Il donne son premier enseignement qui est appelé : le sermon sur la montagne. Il appelle à vivre la pauvreté en esprit et nous invite à le suivre sur le chemin des béatitudes. Il affirme que nous devons nous libérer des soucis, lesquels sont des préoccupations inutiles. Pour cela, il nous donne en exemple les oiseaux du ciel et les lys des champs.

 

Sa vie fut économe : il marchait à pied, avait une nourriture sobre, pas de logement, pas de chauffage, un simple vêtement.
Pour vivre cette pauvreté évangélique, le Christ propose d’intensifier la vie relationnelle, le partage et la vie spirituelle.

La seule fois où il a utilisé la violence, c’était pour chasser les vendeurs du temple. Cette sainte colère s’adressait à ceux qui avaient dévié la finalité du lieu de prière pour en faire une caverne de voleurs. Cette scène a une résonance particulière avec notre thème, car nous avons transformé la terre, temple de la présence divine en un repaire de brigands et de voleurs. Au lieu de remercier pour le don de la vie et de s’émerveiller de la beauté et de la générosité de la nature, l’humain ne pense qu’au profit qu’il peut retirer des ressources naturelles.

L’homme et le cosmos sont inscrits dans un dynamisme de transfiguration progressive

« La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu, avec l’espérance qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu’à ce jour, la création toute entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. » Rom 8/19-22

L’apôtre Paul décrit le processus d’illumination progressive de l’homme et du monde. « Tout est orienté, l’homme et le monde vers la transfiguration » car tout est aimanté par la lumière divine qui rayonne sans cesse. Ce qui appartient à l’homme est de se disposer à la grâce pour se laisser illuminer, transfigurer et déifier. C’est là tout le sens de la métanoïa, conversion intérieure par laquelle l’être humain cherche avant tout la lumière, le Christ, lequel est « la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jean1/9). C’est l’irruption de la lumière qui va déclencher un véritable repentir, lequel conduira vers l’humilité. L’humilité n’est pas un avilissement mais un état de transparence, de totale réceptivité qui permet à la grâce d’être pleinement féconde. L’humilité est faite de confiance et d’abandon. Dans cette perspective, il nous faut cultiver une confiance totale en l’amour de Dieu et une pleine espérance en sa miséricorde.

Nous devons sortir des dolorismes, des schémas de souffrance ainsi que de la théologie de la peur. Autant de déviations qui ont fait fuir nombre de personnes qui portaient un authentique désir. Cela ne veut pas dire que sur ce chemin, nous sommes épargnés par la souffrance et quelquefois par la déréliction car combien il est difficile de mourir à soi-même, aux fausses images de soi et aux attachements illusoires.

L’homme poursuit un but qui dépasse et transcende les catégories de ce monde. Il entraîne dans ce dynamisme tout le cosmos qui trouve son sens dans l’accomplissement de l’homme : « la création toute entière attend d’un ardent désir la révélation des fils de Dieu » (Rom 8/19). L’homme est la récapitulation de tout le cosmos. C’est pour cela qu’il a été crée le 6e jour comme achèvement de l’œuvre de Dieu. L’homme n’est pas pour le monde mais le monde pour l’homme. Les milliards de galaxies existent pour qu’advienne la vie sur terre. Le monde prend son sens en l’homme. « Que le cosmos soit pour l’homme et non l’homme pour le cosmos se voit non seulement dans le fait que le cosmos est l’objet de la conscience et de connaissances humaines et non l’inverse, mais aussi dans le fait que le cosmos sert pratiquement l’existence humaine » D. Staniloé

Retrouver le sens sacramentel du cosmos

La création toute entière est en attente de la révélation de l’homme comme fils de Dieu (Rom 8/19). Cette révélation déclenche le dynamisme de la transfiguration du monde et l’humanisation progressive de la nature. L’urgence écologique est avant tout spirituelle. Hors de ce processus, l’écologie militante est certainement nécessaire mais insuffisante. En ce temps, nous sommes plus que jamais appelés à une « métanoïa », à une réorientation de l’homme vers la lumière pour une transfiguration de la matière. Il nous faut redécouvrir la dimension cosmique du Christ, le cosmos comme Buisson Ardent, comme incorporation de la Parole divine, sacrement de la Parole puis sacrement de Sa Présence. Par l’acte de création, le cosmos est sacrement de la Parole. Par l’incarnation du Christ, il est devenu sacrement de Sa Présence. Ouverture sur la vision eucharistique du cosmos. Un théologien grec Nikos Nissiotis affirme : « Dieu a créé le monde pour s’unir à l’humanité à travers toute la chair cosmique devenant chair eucharistique » (Terre p68). Car il y a en toute chose un mode de la Présence mystérieuse de Dieu…

Le message ultime que le Christ donne juste avant de monter sur la croix est l’institution de la Sainte Cène, le jeudi soir, la veille de la crucifixion. L’ultime initiation est l’eucharistie.
Il invite ses disciples à communier à son corps sous l’apparence du pain et à son sang sous l’apparence du vin. Le pain est un élément cosmique qui vient du blé transformé par le travail de l’homme. Le vin est un élément cosmique qui est issu du raisin fermenté et devient du vin par le travail de l’homme. Le pain et le vin, qui sont symboliques de toute nourriture, sont le fruit d’une œuvre divino-humaine. Le Christ invite à communier par les substances matérielles du pain et du vin à son corps et à son sang : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Le verbe « être » est puissance d’identification. L’eucharistie est essentiellement communion à la vie divine donnée par le pain et le vin. Le cosmos est vie divine rendue comestible ou selon la formule du théologien orthodoxe Paul Evdokimov : « amour de Dieu rendu comestible ». Le dynamisme de la vie rend vivant l’univers matériel qui sans ce souffle serait réduit au néant. Ce n’est pas la matière qui produit la vie mais la vie qui génère ce que nous appelons la matière.

 

Le soir de la Sainte Cène, le Christ met en évidence la réalité sacramentelle du cosmos. Il introduit ses disciples dans une autre contemplation, dans un dynamisme de communion à la vie divine par les éléments cosmiques. La communion signifie aussi l’interdépendance entre ceux qui communient, ceux qui participent à la même vie divine. Elle dit finalement le caractère sacré de toute vie. C’est pourquoi, s’il est essentiel d’être vivifiés par la nourriture sacramentelle lors de la liturgie, il devient urgent d’accéder à une conscience eucharistique. Selon cette conscience, ce n’est pas la matière qui nous nourrit mais la vie infusée dans la matière. La matière par elle- même est vouée à la dégradation, à la décomposition et finalement à la mort. L’eucharistie est offerte pour la vie éternelle, elle est communion à la vie divine immortelle par les substances sacramentelles et nous invite à quitter un rapport de consommation et de dévoration lié à la chosification, à l’objectivation du monde. L’objet est une substance coupée de la vie, en ce sens, il est une réalité morte.

Cette articulation vie/mort est présente au cœur de la Sainte Cène. Le pain donne vie à ceux qui accueillent le don, il devient occasion de chute pour Judas qui refuse ce don ou plutôt le détourne pour un profit financier. La perception eucharistique du monde ouvre sur la plénitude de vie et nourrit intérieurement. Au contraire, la chosification du monde représentée par l’argent, conduit à la mort.

Eucharistie est la traduction du mot grec qui signifie merci. La reconnaissance du cosmos comme don nous situe dans une attitude de gratitude et d’émerveillement et nous ouvre sur la dimension dialogale de l’univers.

Eveiller la conscience écologique et la traduire dans des actes

L’être humain est plus que jamais renvoyé à lui-même et par là, à la question du sens. Il est invité à ouvrir son regard, à éveiller sa conscience, à sortir de sa myopie qui réduit le réel à ce qu’il en perçoit et la nature à une collection d’objets commercialisables. Nous devons chacun et collectivement changer notre rapport au cosmos et au vivant. Pour cela, il devient essentiel d’exercer notre capacité d’émerveillement, de nous laisser toucher par le miracle de la vie pour mieux accueillir celle-ci comme un don et non un fait en soi. En retrouvant une sensibilité au vivant, nous acquerrons la motivation nécessaire pour assumer une limitation volontaire des besoins, pour réduire notre consommation. Ce que l’on aime, on le respecte. L’amour nourrit l’âme.

Pour diminuer notre emprise écologique et ne pas risquer la frustration, il est nécessaire d’être touché par la beauté et enrichi par une plus grande participation à l’univers du vivant. S’enrichir intérieurement pour mieux gérer la limitation extérieure. C’est en ce sens que nous avons invité à poser un regard d’aurore, à voir le cosmos comme Buisson ardent et à pénétrer l’espace dialogal du cosmos qui constitue une véritable bibliothèque. Il nous faut remplacer la frénésie de la consommation par la culture de la connaissance, de l’attention, de l’émerveillement, de l’ouverture spirituelle qui se conjugue avec la culture du partage. Puisant ainsi dans ces richesses infinies, nous appliquant à faire croître l’amour dans nos cœurs, nous pourrons nous affranchir du mode de prédation pour adopter une sobriété heureuse faite de convivialité et de découvertes des merveilles qui sont mises à notre disposition pour le bien de tous. Dans cet état d’esprit, nous pouvons diminuer notre consommation d’énergie, accepter d’avoir une alimentation respectueuse du vivant et de ne manger de la viande que deux ou trois fois par semaine.

Dans sa pratique, l’Eglise orthodoxe articule une conscience eucharistique qui est célébration de la vie, reconnaissance des dons et du « Donateur de vie », avec une culture ascétique qui intègre le jeûne en tant que limitation des besoins et affranchissement du superflu pour acquérir une plus grande sensibilité aux richesses intérieures et ainsi déguster les joies simples de la vie. Le jeûne se conjugue avec la prière, qui est exercice de contemplation, et le partage. Manger moins pour que d’autres puissent simplement se nourrir. L’ouverture à la Présence divine et la promotion du partage fraternel sont les deux faces d’une même réalité.

Soyons clairs, adopter un mode de vie plus en phase avec la nature dans l’attention aux plus démunis afin que chacun puisse vivre décemment, suppose un renversement des valeurs. Orienter notre existence vers plus de justice implique de sortir d’un mode individualiste pour entrer dans une dynamique de solidarité. Cela constitue un des enjeux majeurs pour notre temps car, que nous le voulions ou non, nous sommes inscrits dans une communauté de destin.

De plus en plus, nous percevons l’interdépendance de tous les êtres. Cette conscience nous invite à promouvoir le sens de la justice. Une question cruciale se pose aujourd’hui : saurons nous gérer la mutation dans laquelle nous sommes engagés sans recourir à la violence ? Cela ne sera possible que si nous assumons ensemble, chacun pour sa part, la mutation intérieure nécessaire. Nous ne pourrons pas continuer de vivre selon nos anciennes habitudes et selon le modèle de l’économie libérale actuelle qui est fondée sur le profit et privilégie la concurrence au détriment des plus faibles. Nous n’avons qu’une seule planète. Il est mathématiquement impossible de poursuivre une croissance illimitée à partir de ressources limitées qui, de plus, s’épuisent. Il ne sera pas possible de faire l’impasse de la réalité. De ce fait, nous sommes renvoyés à notre responsabilité personnelle et collective vis-à-vis des générations qui nous suivent. Soit, nous pouvons nous engager volontairement dans une limitation volontaire des besoins associée à un esprit de coopération pour que chaque personne puisse avoir accès à l’eau, se nourrir correctement, bénéficier de soins et avoir accès à l’éducation, soit nous serons de plus en plus obligés par la situation. Choisir ou subir. Face à chaque défi ou chaque épreuve, nous avons toujours ces deux possibilités : soit ouvrir notre cœur et opérer un saut qualitatif, soit maintenir coûte que coûte nos habitudes.

 

Pour assumer la première option, un éveil spirituel est nécessaire. Chaque personne porte en elle une dimension spirituelle, une capacité de conscience et un sens inné de l’infini. L’éveil spirituel que nous mentionnons peut se résumer par cette phrase : « aime ton prochain comme toi-même ». Le passage se fera les uns avec les autres ou sera une tragédie.

Pour que ce passage soit bien assumé, il doit être soutenu par la prière des chrétiens. C’est pourquoi, le Patriarche œcuménique Dimitrios adressa le 1er septembre 1989 la toute première encyclique à toutes les Églises orthodoxes dans le monde, où il instituait le premier jour de l’année ecclésiastique orthodoxe comme jour de prière pour la protection et la préservation de l’environnement naturel. Cette initiative fut d’ailleurs reprise par la Conférence des Églises européennes et par le Conseil œcuménique des Églises. En 2015, le Pape François relaie cette initiative. Nous espérons qu’elle suscitera une mobilisation de plus en plus grande pour la sauvegarde de la Création et la promotion de la justice et du partage.

Père Philippe Dautais