La prière de Jésus,
Un calice pour boire à la Source…
L’expérience spirituelle qui n’est pas reconnue et entretenue est un peu à l’image d’un feu qui risque de s’éteindre si on ne l’alimente pas régulièrement avec des buches. La pratique, qui plus est la pratique régulière et quotidienne, toutes les traditions s’accordent sur ce point, ne peut que maintenir le chercheur dans une juste relation de proximité avec l’objet de sa quête. A ce titre, la prière de Jésus, perle de la tradition « Philocalique », est un précieux outil pour maintenir la flamme de la présence de Dieu en soi, par l’invocation du Nom. Père Philippe Dautais nous livre ici un précieux « Vade Mecum » sur le chemin de notre croissance personnelle.
Dans l’attente du retour du Christ
Les chrétiens des premiers siècles étaient, à la suite de l’apôtre Paul, persuadés que la fin des temps était proche, que le Christ allait revenir sans tarder. Dans cette attente et cette espérance, ils s’entretenaient dans la prière, le chant des psaumes et la mémoire des récits évangéliques. Telles les vierges sages, ils gardaient leur lampe allumée. Ils veillaient et priaient afin d’être éveillés à la présence du Christ qui pouvait surgir d’un moment à l’autre. Par cette disposition du cœur, ils maintenaient en eux une ardeur, un élan qui leur procurait beaucoup de joie.
Au 4e siècle, après la reconnaissance, par l’empereur romain Constantin, de la religion chrétienne en l’an 313, des milliers de personnes redoutant la dissolution de l’héritage chrétien dans la culture de l’époque se sont retirées au désert, en Egypte, pour se consacrer à la relation à Dieu et à la garde du cœur. Ils aspiraient à vivre pleinement cette ferveur. L’attente de la seconde venue du Christ est devenue disposition à Sa présence et quête de l’état paradisiaque. Certes, le Christ allait revenir pour tous, mais dès maintenant, il désirait naître dans le cœur de chaque être humain comme il l’a annoncé lui-même : « si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui » (Jean 14/23). Le Christ attend notre sollicitation pour faire irruption en nous selon ce qui est affirmé dans le livre de l’apocalypse (3/20) : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et qu’il ouvre, j’entrerai chez lui pour souper avec lui. Lui près de moi et moi près de lui ».
Prier, c’est être un avec la vie
Les anciens, en réponse à cette invitation, ont donc cherché à vivre cette relation prégnante avec « Celui qui est plus intime à nous-même que nous même ». Ils avaient bien compris que la question de Dieu est liée à l’originel dans l’être humain. Cet originel, ils l’ont assimilé à ce que la Bible nomme « image de Dieu » ou reflet de la présence divine dans le cœur de l’homme. En se tournant vers l’originel, la source, d’où jaillit la transcendance, ils pensaient ainsi accéder au mystère de la vie et de l’être. Pour eux, l’Eden n’était pas une réalité géographique, mais le lieu de l’originel, rayonnant de lumière, inscrit au cœur de toute réalité. Ainsi la quête de l’originel correspondait à une soif de vie, à une aspiration à être et à la reconnaissance de la beauté intérieure. Pour ces anciens, ce désir inné, cette mystérieuse aspiration, c’est la prière intérieure.
En ce sens, prier, c’est être un avec la vie, c’est entrer dans le dynamisme de la vie et du vivant. Dans cet esprit, ces assoiffés, ivres de Dieu, se sont plongés dans une aventure spirituelle nommée « philocalie » qui, en grec, signifie « amour de la beauté ». La tradition philocalique, issue de cette expérience, sera le berceau de la pratique de la prière de Jésus.
Une prière pour boire à la source
Cette prière se présente donc comme un mode d’accès à la beauté originelle, un moyen de revenir vers la source pour vivre l’unique nécessaire. Plus on descend vers la source intérieure, plus le regard se purifie. Plus une personne y voit clair, plus elle aura l’aptitude au discernement, lequel présidera aux décisions et aux actes. Dans cette perspective, la première étape consiste à sortir de l’agitation du monde ; d’une part, prendre une distance par rapport aux sollicitations du monde, et d’autre part, prendre de la hauteur par rapport à l’agitation intérieure des pensées et des émotions. Jésus, pour prier aimait se mettre à l’écart, sur une montagne (Mat 14/23). La prière n’est pas seulement un mode de relation à Dieu et une élévation de l’âme, elle est une activité de l’esprit qui permet de prendre de la hauteur par rapport à soi-même afin de ne pas se laisser entraîner par le flot des pensées, des émotions et des sentiments ou encore par l’imaginaire et les illusions. Prendre de la hauteur offre la possibilité de quitter le rapport passionné aux objets et à leurs représentations. Cette attitude ouvre la voie vers la liberté intérieure. La pratique consiste à rappeler sans cesse l’intelligence qui s’égare au dehors, vers le dedans, afin qu’elle trouve son lieu : le cœur profond.
Jésus, dans les évangiles, nous dit avec simplicité comment se disposer à la prière : « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra…En priant, ne multipliez pas de vaines paroles…(Mat 6/6 et 7).
Entrer dans la chambre du cœur profond et se disposer à la prière.
Dans un premier temps, il convient de trouver une pièce paisible, à l’écart des bruits du monde et de la maison, de fermer la porte pour préserver un espace d’intimité. Puis, dans un deuxième temps, dans la détente, descendre en soi-même par la sensation intérieure jusqu’à trouver la chambre du cœur profond, lieu secret où se tient le Père. L’expérience montre que demeurer en silence dans le cœur profond n’est pas immédiatement possible. Dès que l’on veut faire silence au-dedans, des pensées affluent, des mémoires émergent, nombre de prétextes nous poussent à la distraction, nous tirent dehors et nous font quitter la chambre haute. Si l’on s’aventure à repousser les pensées par la volonté, à vouloir leur fermer la porte, il s’avère que plus on lutte contre elles, plus elles nous envahissent. C’est pourquoi, les Pères du désert d’Egypte, reconnaissant ces difficultés, ont promu la prière de Jésus ou prière monologique, qui remplace la multiplicité des pensées par une seule pensée. Focaliser l’attention sur l’invocation du Nom du Seigneur Jésus est une pratique accessible qui permet d’écarter les tentations de distraction.
La place du corps
Plusieurs formules ont été utilisées au cours des siècles. La phrase retenue par l’Eglise et aujourd’hui communément employée est : « Seigneur Jésus Christ, fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ». S’appliquant à répéter cette parole, la pensée se simplifie, l’intelligence revient vers le dedans et trouve le lieu du cœur. Le cœur est le centre du corps et de l’âme ainsi que le lieu de l’esprit. En lui, tout notre être s’unifie et s’éveille à la profondeur. Pour cheminer vers cette unité intérieure, il est recommandé de trouver une position juste du corps. Certains préfèrent être debout, bien campés sur les pieds, d’autres assis, le dos droit sans crispation, d’autres encore selon la recommandation de saint Grégoire le sinaïte (13e S) qui a développé la pratique de la prière de Jésus au Mont Athos, préféreront s’asseoir sur un petit banc car cette posture facilite le recueillement. Après avoir pris le temps de la détente et déposé au Seigneur ses préoccupations et ce qui encombre le cœur, il convient d’articuler à haute voix la prière, en s’appliquant à enfermer l’intelligence dans chaque mot de la prière pour éviter la distraction dans un élan du cœur vers Jésus que l’on invoque. Par cette pratique, le corps, l’intelligence et le cœur sont unis dans une même prière. Saint Jean Climaque (7e S) a précisé que lorsque ces trois sont réunis au Nom du Seigneur Jésus, Il est présent à celui qui prie.
La prière est essentiellement invocation de la présence du Seigneur Jésus afin d’une part, d’entrer dans son intimité et d’autre part, de l’inviter à régner sur les pâturages de notre cœur. L’invocation est continue afin de demeurer présent à Celui qui est déjà là. L’invocation du Nom de Dieu parcourt toute la Bible (voir par ex Ps113, 116, 118), elle est au centre de la prière juive. A la suite de Seth (Gen4/26), Abraham, Isaac, Jacob, Moïse invoquèrent le Nom de Dieu. Le nom révèle la nature secrète d’un être, son mystère. L’invocation est donc accès à la profondeur de la personne, à son identité. En miroir, plus il m’est donné d’entrer dans cette profondeur, plus j’accède à la connaissance de qui je suis et plus la lumière éclaire mes ténèbres intérieures. Il convient ensuite de nommer ce qui est révélé pour cheminer vers la liberté intérieure.
Prière et vigilance sont indissociables
La prière est complémentaire à l’exercice de la vigilance. L’une ne va pas sans l’autre. Il n’y a pas de vraie prière si le cœur n’est pas attentif à chaque mot qu’il prononce et si l’esprit n’est pas fixé en Dieu. Le Christ dans les Evangiles joint l’une et l’autre dans ces paroles adressées aux disciples : «veillez et priez en tous temps » Luc 21/36, ou bien : « veillez et priez afin que vous ne succombiez pas dans la tentation » Mat 26/41. Les mouvements de la langue et des lèvres sont ici des clés. Ils aident à la focalisation de la pensée et à la mémorisation du corps. Cette prière a pour vocation de devenir permanente. Après un certain temps de pratique, on peut l’entendre se dire au-dedans. La vigilance s’applique aussi par rapport aux émergences de l’ombre.
Il est recommandé de s’accorder vingt minutes de pratique quotidienne, de préférence le matin, pour faire vivre cette prière en soi. Ces vingt minutes seront un ferment pour la journée, au cours de laquelle on essayera de trouver de multiples occasions de la dire intérieurement, par exemple dans sa voiture, dans le métro, dans le train, en marchant. Autant de moments privilégiés que l’on pourra s’accorder pour vivre l’essentiel au cœur de l’existentiel. Dans l’expérience, chacun vérifiera le changement de rapport aux évènements qu’elle va induire, et combien elle est une aide pour gérer les situations diverses. Cette prière simple est très adaptée au mode de la vie actuelle, elle est accessible en tous lieux et en tous temps, elle est une clé de sanctification du monde. Elle n’est efficace que si elle est pratiquée !… C’est l’expérience qui révèlera tous ses secrets.
Ouvrages recommandés :
- « Le chemin de l’homme selon la Bible » aux éditions DDB ;
- « Si tu veux entrer dans la vie » aux éditions Nouvelle Cité.
- Petite philocalie de la prière de Jésus de Jean Gouillard Ed du Seuil
- Le récit d’un pèlerin russe- Ed du Seuil
- La prière de Jésus de un moine de l’Eglise d’orient- Ed Chevetogne
- Nouvelle petite philocalie de Jacques Touraille-Ed Labor et Fides