Développer une conscience eucharistique du cosmos

Conférence donnée dans le cadre des journées franciscaines de l’écologie à Brive le 13 juillet 2016.

Ce titre peut paraitre énigmatique pour certaines personnes qui ne perçoivent pas de prime abord le lien entre l’eucharistie et l’écologie. Il convient donc de préciser ce que nous entendons par « écologie » puis de pénétrer dans la dimension du mystère eucharistique révélé par le Christ avant sa passion. Rappelons d’emblée que le mot « mystère » est d’origine grecque, il est traduit en latin par sacramentum pour donner en français le mot sacrement.

Je vais vous proposer une méditation sur le thème central de l’incarnation, ce qui nous amènera à faire le lien entre la Parole, l’eucharistie et le cosmos. A cet effet, il est utile de rappeler que la liturgie chrétienne est composée de deux parties : en premier la liturgie de la parole centrée sur l’Evangile suivie de la liturgie eucharistique qui nous fait pénétrer plus avant dans le mystère de la présence du Christ. La méditation de la parole ouvre sur le réalisme spirituel de l’incarnation qui s’approfondit dans l’avènement eucharistique.

L’écologie ou la redécouverte de l’univers vivant

Ecologie vient de « oïkos » qui signifie maison, habitat, et aussi patrimoine. Ce mot nous renvoie à la responsabilité de l’être humain par rapport à notre maison commune et au patrimoine (à savoir l’univers du vivant ainsi que les ressources) qui est à notre disposition, dans la considération des générations futures.

L’écologie ne se résume pas à la science de l’environnement, elle s’étend à l’ensemble du monde vivant et s’intéresse particulièrement aux inter-relations et inter-actions entre les différents règnes : minéral, végétal, animal et l’homme. De ce point de vue, elle fait le lien entre différentes disciplines : la biologie, la chimie, la physique, l’économie…son mode est la transdisciplinarité. A ce titre, nous pouvons la définir comme une science du vivant.

Celle-ci révèle l’Unité du vivant qui se conjugue avec la diversité des espèces. Tout est en inter-relation et en inter-dépendance. Chaque espèce végétale et animale a sa place. L’être humain fait partie intégrante de cet ensemble. Il est aussi un être naturel, il fait partie intégrante de la nature. Le vivant est composé des mêmes molécules de base. Cela explique qu’une espèce puisse se nourrir d’une autre : en digérant, la première réutilise les éléments de la seconde, mais en la réarrangeant à sa manière. Nous ne pouvons pas vivre sans l’air, sans l’eau, sans les espèces végétales et animales. Le Tout est nécessaire à chaque partie. La totalité cosmique est cohérente. Elle est à la fois unité et diversité.

Le constat et la nécessaire mutation de nos modes de vie.

D’autre part, l’écologie ne peut se résumer à la question climatique. Celle–ci n’est qu’un des aspects qui a mobilisé l’attention de 159 nations en décembre dernier lors de la 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP 21) qui s’est réunie à Paris en décembre 2015. Aujourd’hui, la majorité des scientifiques, au vu de nombreuses études qui ont été faites, s’accorde à reconnaitre que le réchauffement de la planète est en grande partie due à l’activité humaine, notamment par la combustion des énergies fossiles, la production de CO2 et de méthane. Combustion proportionnelle à la production toujours croissante des biens de consommation. L’utilisation effrénée des énergies bon marché a nettement amélioré les conditions de vie de ceux qui en ont bénéficié. Elle a aussi été la cause du développement de l’agriculture chimique, de l’épuisement des ressources halieutiques, de la pollution atmosphérique et des nappes phréatiques, de la déforestation puis de l’érosion des sols et a engendré une culture des déchets dont les conséquences deviennent insoutenables. Nous atteignons une situation limite.

La planète ne peut pas suivre le rythme du prélèvement des ressources naturelles. Nous sommes en train de les épuiser. Nous vivons au dessus de nos moyens et nous dépassons déjà les possibilités offertes par la planète terre. En 2016, le 8 août, nous aurons épuisé toutes les énergies renouvelables de l’année. A partir du 9, nous vivrons à crédit au détriment des générations futures. Si nous maintenons notre consommation actuelle de pétrole, de charbon et de gaz, la température moyenne augmentera de 5° pendant le 21e siècle. Les effets sur l’écosystème sont imprévisibles et seraient de toute façon désastreux. Nous n’avons qu’une seule « maison commune » dont les limites deviennent incompatibles avec le style de vie prédateur qu’un tiers de l’humanité s’est arrogé au détriment des deux tiers. Lors de la 21e conférence des Nations unies sur le climat, il a été clairement établi qu’en fonction des décisions et des applications des décisions, la hausse de la température pendant le 21e siècle pourrait varier de 1 à 5°. Cette évolution n’est donc pas le fait d’un cycle naturel mais bien la conséquence de l’activité humaine.

La logique consumériste dans laquelle nous sommes inscrits n’est plus soutenable, d’autant qu’elle tend à se mondialiser. Force est de constater que tous les efforts envisagés ne suffisent pas. Les solutions techniques, l’investissement dans les énergies solaires et éoliennes, d’une part, l’encouragement aux économies d’énergies, d’autre part, sont nécessaires et utiles mais ne peuvent répondre à elles seules aux défis actuels. Il est vain de nous faire croire que nous pourrons demeurer dans la logique consumériste et économique, qui n’a comme seul critère que la croissance du PIB, et laisser une planète vivable aux générations futures. Un changement de direction est nécessaire et urgent, vu l’inertie des systèmes. Il implique un sursaut de conscience. Si cette mutation peut bénéficier des progrès techniques, son point d’appui essentiel est éthique.

L’enjeu est éthique plus que technique

Nous sommes liés par une communauté de destin. C’est ensemble, les uns avec les autres et non les uns contre les autres, que nous pourrons assumer la mutation. Il nous faut redonner une place aux minorités pour qu’elles nous enrichissent de leur patrimoine culturel. Le défi n’est pas avant tout technique mais éthique, il n’est pas tant dépendant des prouesses scientifiques que de notre capacité à gérer la situation et les moyens techniques qui sont mis à notre disposition. Nous avons investi toute notre énergie dans les progrès techniques, il nous faut maintenant investir dans le progrès éthique et la croissance spirituelle. La mutation du monde passe par la mutation intérieure de chaque être humain. Ceci vaut pour les changements systémiques nécessaires. Sans une nouvelle conscience éthique, comment faire évoluer positivement les systèmes économiques et financiers ?

Ré-orienter les perspectives

Ce changement de perspective est exprimé magnifiquement par Miguel D’Escoto Brockmann, Président de l’Assemblée générale des Nations Unies lors du G12 en 2010 : « Nous avons pleinement exploité un capital matériel fini, il nous faut désormais travailler avec le capital spirituel qui est infini, parce que nous avons une capacité infinie à aimer, à vivre ensemble en tant que frères et à pénétrer les mystères de l’univers et du cœur de l’homme ».

La terre subit l’action dévastatrice de l’homme. La racine de la situation actuelle est dans le cœur de l’homme, dans son mode de rapport au monde qui est marqué par la convoitise, l’avidité, l’esprit de prédation, l’égoïsme, la cupidité. Ces dérives expriment les passions humaines qui se sont investies dans la recherche du profit et des richesses extérieures plutôt que de s’appliquer à l’amour du prochain et au service de tous les êtres, du vivant.

Maxime le Confesseur, déjà au 7e siècle, l’exprimait de la manière suivante: « Nous avons préféré les choses matérielles et profanes au commandement de l’amour et parce que nous y sommes attachés, nous luttons contre les hommes alors que nous devrions préférer l’amour de tous les hommes à toutes les choses visibles et même à notre corps »(1). Il soulignait que la convoitise conduit vers l’inimitié voire la haine de l’autre. La convoitise fait passer les intérêts individuels, ceux des sociétés conquérantes, avant les considérations humaines et éthiques. Elle nous fait considérer notre prochain comme un rival, un concurrent puis finalement un ennemi. Elle introduit donc une déviation et un mensonge. Déviation car elle nous fait haïr au lieu d’aimer. Mensonge, car elle nous présente l’autre comme un étranger, alors même que nous participons avec lui de la même chair, de la même humanité. C’est donc par un changement d’état d’esprit et une élévation de la conscience que nous pouvons espérer une issue positive et salutaire. Les prouesses technologiques aideront mais ne modifieront pas la logique actuelle. Le militantisme écologique et citoyen est nécessaire mais insuffisant, le véritable enjeu est plus profond, il touche au cœur de l’homme : il est spirituel. Nous avons à passer d’une vision matérialiste et objectivante du cosmos à une vision spirituelle et sacramentelle pour quitter l’esprit de prédation dévastateur et promouvoir un esprit de coopération, de partage, de communion, d’émerveillement et de gratuité. Une nouvelle alliance avec le vivant est nécessaire. A cet effet, il nous faut redécouvrir la sacralité du cosmos.

La désacralisation du monde

« La crise écologique, déclare le théologien orthodoxe Jean Zizioulas, est la crise d’une culture qui a perdu le sens de la sacralité du cosmos, parce qu’elle a perdu sa relation à Dieu ». La désacralisation du monde est la conséquence d’une vision objectivée de la nature qui s’est imposée peu à peu en Europe, particulièrement en France, à partir du XVIe siècle. L’objectivation réduit les composants du vivant à des objets qui ont une réalité en eux- mêmes. Le tout a été considéré de manière horlogère comme un ensemble de pièces indépendantes. On peut démonter entièrement une horloge et connaitre chacune de ses parties. Le tout est identifié à l’ensemble des parties. Ce processus de réification a transformé tout ce qui existe en objets puis en marchandises : le monde matériel, la nature, le vivant. Nous en sommes à commercialiser même les organes humains : œil, rein, foie… Chosifiant la nature nous en venons à chosifier l’être humain et à le réduire à une machine (projet du transhumanisme). Le monde est devenu un immense magasin de marchandises, un hyper marché où tout se vend et s’achète. Tout ce qui existe est objectivé, placé dans un rapport d’extériorité et considéré comme une réalité en soi. Au XXe siècle, la physique des particules a mis en évidence la fiction de l’objet en montrant que tout est interdépendant et que chaque particule n’a d’existence qu’en inter-relation avec d’autres particules. La complexité du tout se révèle être beaucoup plus que l’ensemble des parties car elle intègre les actions, les réactions et les rétroactions entre les éléments en présence. Un organisme humain est plus complexe qu’une horloge, il est beaucoup plus que l’ensemble des parties. Le matérialisme est réductionniste, il ne perçoit que l’extériorité de la réalité, que les apparences et par là nous entraine dans un monde d’illusions dont on fait commerce. Il est l’expression du mode de l’exil où tout est fragmenté. Nous avons coupé les liens profonds avec la nature, avec l’autre, puis avec nous-même jusqu’à rejeter Dieu comme «une hypothèse inutile» (Laplace). L’exil de la profondeur nous a entrainé vers une culture de la superficialité.

Pour retrouver une juste relation avec le vivant, il est nécessaire de développer une culture de l’attention, de l’émerveillement et de gratitude. Le changement suppose un changement de regard, une ouverture sur une nouvelle vision du cosmos qui sont les fruits de ces dispositions intérieures. Nouvelle vision qui doit intégrer la réalité invisible.

Vision eucharistique du cosmos

La tradition chrétienne, L’Eglise s’appuie sur trois piliers : l’Ecriture sainte, en particulier les Evangiles, la tradition spirituelle et la vie sacramentelle. Nous citons abondamment les deux premières mais par rapport à l’écologie, il est moins fait référence à la dimension sacramentelle. Or, celle-ci est directement liée aux éléments cosmiques tels : l’eau, l’huile, le pain, le vin… Eléments qui sont vécus dans la foi comme des vecteurs de la grâce divine. L’Eglise, dans sa pratique, met en évidence le lien essentiel et vivifiant entre le cosmos et Dieu, créateur de toutes choses.

L’eucharistie est au cœur de la vie de l’Eglise et l’expression majeure de sa théologie. Avec l’eucharistie, nous entrons dans le Saint des Saints, le sacrement des sacrements, dans le mystère des mystères. Celui-ci est inépuisable tant il exprime le don de l’amour incommensurable de Dieu pour nous. Un amour qui se donne totalement et à chaque instant. Accueilli, il suscite l’action de grâce, l’extase de la réciprocité : c’est là le mystère de l’eucharistie. Osons soulever le voile.

La signature de l’accomplissement de l’Ecriture est tout entière dans le cri du Christ sur la croix : « J’ai soif » Jean 19/28. A l’ultime du don d’amour, de l’offrande de lui-même, le cœur de Dieu en Jésus appelle la réciprocité d’amour. Le mystère du salut est tout entier inscrit dans cette parole qui résonne dans le cœur du monde et ne cesse de frapper à la porte du cœur de l’homme jusqu’à la consommation des siècles. Le Christ a conjointement manifesté son amour pour l’homme et fait don de Sa vie pour le salut du monde : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » Jean 15/13. Ce don de la vie divine est actualisé à chaque célébration eucharistique dans laquelle sont associés la Sainte Cène, la mort et la résurrection du Christ.

L’eucharistie récapitule le mystère de la création, la révélation biblique et l’incarnation du Verbe en Jésus Christ. Pour une meilleure lecture de ce message fondamental, je vous propose de méditer ces trois étapes.

La grâce de la révélation naturelle

Dans le livre de la genèse, au premier chapitre, par dix fois, il est écrit : « Dieu dit ». Dieu crée le cosmos par dix paroles. Le cosmos se présente comme incorporation de la Parole divine. Il est une pré-incarnation du Verbe et sacrement de la Parole. Chaque élément cosmique est lié au Verbe qui fonde son existence. Ce que confirme l’apôtre Jean dans son prologue : « Dans le principe est le Verbe, et le Verbe est vers Dieu et le Verbe est Dieu. Par Lui, tout a été fait et rien de ce qui a été fait, n’a été fait sans Lui » (Jean 1/1-3). L’apôtre Paul précise : « C’est par la foi que nous reconnaissons que l’univers a été formé par la parole de Dieu, en sorte que ce que l’on voit n’a pas été fait de choses visibles » (Heb 11/3).

Selon la Bible, nous pouvons dire que chaque chose est fondée par la Parole de Dieu. Rien n’existe qui ne soit parole et pensée de Dieu.

Dieu en sa création

Dans l’épître aux Romains (1/20), saint Paul exprime avec force ce lien mystérieux entre Dieu et sa création : « en effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité se voient comme à l’œil nu, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables… » L’ouvrage de Dieu est sa création. L’apôtre Paul affirme que l’on peut voir comme à l’œil nu, au sein de la création, la puissance éternelle de Dieu et même sa divinité. Il nous montre que le monde visible contient un enseignement sur le monde invisible, que cette terre, le cosmos sont signifiants des réalités célestes. Appel à ouvrir le regard pour percevoir au-delà des apparences, la réalité profonde, à voir Dieu en toutes choses et toutes choses en Dieu.

Le Cosmos révélé comme œuvre et don de Dieu.

L’Univers tout entier est sous-tendu par la Parole de Dieu et par le rayonnement des énergies divines, par le Verbe et l’Esprit. Le feu de la divinité rayonne dans le cosmos.

Pour suppléer la défaillance humaine, la difficulté d’une majorité d’êtres humains à reconnaître le cosmos comme une création divine, la révélation biblique vient compléter la révélation naturelle. Ce que l’homme n’a pas saisi par lui-même, Dieu vient le lui dire par le témoignage de Moïse dans la Torah et de Salomon dans le livre de la Sagesse : « Vains par nature tous les hommes en qui se trouvaient l’ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles n’ont pas été capables de connaître Celui qui est, et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’artisan …Car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie contempler leur auteur » (Sagesse 13/1-5). La beauté de la création, selon le livre de la sagesse, est le reflet de la beauté divine.

Le cosmos comme Buisson ardent

Pour approcher ce mystère, il nous faut revenir à la révélation extraordinaire du Buisson Ardent. Moïse « vint à la montagne de Dieu, à Horeb ». Il eut cette expérience d’ouverture du regard sur la profondeur du réel : « Le buisson ardent était tout en feu et ne se consumait pas » (Exode 3-2). Dieu lui demanda d’ôter ses sandales, de ne pas piétiner cette contemplation par une curiosité malsaine qui veut capter, mais de se laisser saisir. Pour contempler ce mystère, comme Moïse, nous sommes appelés à nous dépouiller de nos regards chosifiants, de nos projections mentales, de nos rationalités objectivantes pour accéder à une autre perception. Invitation à ouvrir notre regard au delà de nos préjugés, de nos concepts et accepter de se laisser saisir, de se laisser toucher, de contempler, d’écouter gratuitement sans idée de récupération. En simplicité, accueillir la découverte du cosmos comme une théophanie, une manifestation de Dieu. Le Buisson Ardent nous enseigne que le cosmos visible est la parure de l’invisible. Ce que l’on voit du cosmos n’est que l’apparaître des choses, les apparences sont le voile d’une réalité plus profonde qui n’est pas perçue par celui qui n’a pas des yeux pour voir ou des oreilles pour entendre.

Se faisant, l’homme enfermé dans l’apparaître et l’extérieur des choses, limité aux apparences, n’a pas accès à la révélation naturelle. Il ne sait pas la lire et se trouve dans l’impasse du non-sens ou de l’absurde.

La grâce de la révélation biblique

Ne percevant pas la présence de Dieu dans le cosmos, la Révélation Biblique nous vient en aide. Par elle, Dieu, de sa propre initiative, entre en relation avec l’homme, Il se fait connaître et vient mettre en évidence l’univers comme création. Dans une lecture sacramentelle, elle est Parole de Dieu que nous sommes invités à manduquer, à assimiler et à incorporer. Elle nous ouvre à la relation à Dieu par l’écoute de Sa parole : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole…» Jean 14/23.

Dans une lecture profane, elle nous parle de Dieu mais ne nous introduit pas dans une communion avec lui.
Saint Maxime le confesseur résume merveilleusement notre propos : « Dans les Ecritures, nous disons que les mots sont les vêtements du Christ et leur sens son corps. Les mots voilent, le sens révèle. Il en est de même dans le monde où les formes des choses visibles sont comme des vêtements et les idées selon lesquelles elles sont créées, comme la chair. Car le Créateur et législateur universel, le Verbe, se cache en se révélant et se révèle en se cachant » Ambigua PG91-1129.

Ainsi, la révélation Biblique ouvre sur la dimension verticale de l’histoire et sur le dialogue divino-humain au cœur du déroulement évènementiel. Dieu parle aux hommes et des hommes engagent leur vie en réponse à l’appel de Dieu. Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, sont autant de figures qui ont mis en pratique la loi et ont obéi à l’appel de Dieu. Ils ont inscrits leur vie dans la relation à Dieu et ont permis à Dieu d’intervenir dans l’histoire, pour l’orienter vers son accomplissement.

La Bible montre le sens du cosmos par le dévoilement du projet divin, elle est par excellence le livre du sens. Toute l’Ecriture sainte est orientée vers l’accomplissement qui donne sens à toute l’histoire et à la création même. Ainsi, ceux qui ont reçu la révélation Biblique ne peuvent plus ignorer la révélation naturelle sous peine de faire de la Parole de Dieu une lettre morte.

Dans cette perspective, et c’est l’urgence de notre temps, tous les chrétiens sont appelés à entrer dans une culture de l’attention pour déchiffrer le mode de présence de Dieu dans le cosmos et entrer dans une connaissance symbolique qui dépasse la seule rationalité. Et avec eux, toute l’humanité. Ensemble, sortir d’une connaissance dualiste et s’émerveiller de l’unité ontologique du cosmos qui n’est pas coupé de l’invisible. Moïse et la Bible nous

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invitent à entrer dans la profondeur symbolique où tout devient signifiant. Mais qu’est-ce que le symbole ?

Le symbolisme chrétien

Le symbolisme chrétien n’exprime rien d’autre que l’union sans confusion en Christ du divin et de l’humain, dont le cosmos devient le lieu du dialogue. Le fondement de tout symbole est le Christ lui-même qui est vrai Dieu et vrai homme. Présence du Créateur dans la créature sans que les deux ne puissent jamais se confondre. Tout est récapitulé dans le Logos.

La lecture symbolique est contemplation de la gloire de Dieu cachée dans les êtres et perception de l’invisible dans le visible, de l’impalpable dans le palpable. « Depuis la création du monde, les choses invisibles sont contemplées à travers les créatures » (Rom 1/20). Ce que Dieu a d’invisible est rendu manifeste par les choses visibles ; ce qu’on ne voit pas par ce qu’on voit ; il nous montre ainsi que « ce monde visible contient un enseignement sur le monde invisible et que cette terre renferme certaines images des réalités célestes. » Origène Sources Ed. Stock p199. La création, pour ceux qui ont des yeux pour voir, est une fenêtre ouverte sur l’invisible : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament proclame l’œuvre de ses mains » Ps 18/19. Elle est un moyen d’accès à la connaissance de Dieu, une échelle vers la transcendance.

Saint Isaac le Syrien (7e S) voyait le cosmos comme un océan de symboles. Le symbole désigne la présence du symbolisé dans le symbolisant. C’est le symbole qui rend compte de la vraie réalité, son fondement est l’incarnation du Verbe, de la Parole. Le symbole n’est pas une comparaison mais l’expression de la relation ontologique avec le Créateur. Le Christ est lui même l’intériorité de tout ce qui existe. Il est le verbe fondateur de tout ce qui est : « Par lui tout a été fait et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui » Jean 1/3. Donc, toute créature est l’expression d’une parole qui la fonde.

Le cosmos est un espace dialogal

Le cosmos se révèle espace d’un immense dialogue, des paroles sont adressées à l’être humain, elles attendent d’être accueillies, de trouver un écho. « Océan de symboles », il est accessible dans une lecture poétique où tout devient signifiant.

Dieu nous parle par tout le créé, il nous appartient d’apprendre à lire les Paroles substantielles en chaque chose. Savoir lire pourrait être ici la vraie acception du mot « religion », en tout cas celle qui peut faire sens pour nous aujourd’hui. On fait généralement procéder étymologiquement ce mot du terme latin « religare » que l’on traduit par « relier ». La religion nous donne la possibilité de nous relier au divin par les rites. Les rites nous éveillent aux mystères. Ils sont une première initiation. La maturation spirituelle nous conduit à reconnaitre une autre étymologie toute aussi légitime : « religere » qui nous invite à une lecture verticale, non celle horizontale des phénomènes, mais une lecture signifiante, qui fasse sens. Lecture verticale qui permet de déceler en la création un moyen d’accès à Dieu, la création comme échelle vers Dieu. Le plus important n’est plus ce qui m’arrive mais en quoi cela me parle et m’enseigne en vue d’une transformation intérieure. Passage de l’extérieur vers l’intérieur. Découverte que nous sommes inclus dans un univers relationnel où tout est signifiant. Cette translation dans la compréhension de la religion est clairement mise en évidence par le Christ dans son dialogue avec la femme samaritaine : « l’heure vient ou ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père dans l’Esprit et la vérité » Jean 4/21-23. Parole qui peut être aussi traduite par « dans le Souffle et l’attention ». Invitation à reconnaitre « la gloire de Dieu cachée dans les êtres et les choses », à lire et célébrer cette Présence multiforme du Logos dans les éléments cosmiques qui éclatent dans la diversité des minéraux, végétaux, animaux et se synthétisent en l’être humain. Cette diversité, riche des multiples spécificités, exprime l’écho de la Présence Divine.

L’écho-logie

Cela nous amène à considérer une nouvelle facette de l’écologie : « l’écho-logie », c’est à dire la science des réverbérations de la Présence de Dieu dans le cosmos. De même que les sciences empiriques se sont appliquées à découvrir les lois cosmiques qui sont actives depuis des milliards d’années, l’écho-logie a pour objet de déchiffrer le langage de la sagesse divine inscrit dans le cosmos. Elle peut ainsi conduire vers la connaissance de Dieu et devient une possibilité d’accéder aux mystères les plus profonds. Les peuples premiers, les poètes, les mystiques, les cueilleurs d’essences de plantes nous ont précédés sur ce chemin. Nous avons à nous inscrire dans leur sillage en veillant à ne pas confondre le signifiant et le signifié, la Parole et sa traduction cosmique. Il ne faut pas confondre la lumière et les objets qu’elle éclaire.

Le cosmos est un livre, mieux une bibliothèque, où se donne à lire le langage de l’amour de Dieu. Mais, au lieu de déchiffrer les messages, de lire chaque livre de cette bibliothèque que nous ignorons, nous la convertissons en combustibles, nous la brûlons. Avides de posséder toujours davantage, inscrits dans une vision matérialiste qui réduit le vivant à une collection d’objets vite transformés en marchandises, nous brûlons toute l’énergie du monde et alimentons avec frénésie la logique production-consommation qui est énergétivore. Depuis deux siècles, les pays occidentaux ont prospéré grâce à l’énergie bon marché puis ont entrainé à leur suite tous les pays de la planète. Nous consumons les énergies fossiles, nous brulons les forêts, nous stérilisons les sols avec des produits chimiques, nous épuisons les ressources naturelles et détruisons les écosystèmes pour produire toujours plus de calories ou de marchandises. Inconscients des limites et peu préoccupés des conséquences pour les générations futures, nous nous livrons au gaspillage et engendrons une « culture du déchet », lesquels seront incinérés. La combustion produit de la chaleur, la chaleur et les émissions de CO2 participent du réchauffement climatique qui amplifie le processus destructeur. Nous devrons réduire notre consommation d’énergie, ce qui est l’enjeu actuel. A défaut, nous allons franchir des seuils tels que la vie sur terre sera menacée, notamment par la destruction de la biodiversité.

L’incarnation du Logos ou Verbe de Dieu

Dans la plénitude des temps, « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » Jean 1/14. Cette parole est immense. Le Verbe s’est fait chair, il a investi la chair cosmique, il a fait du cosmos sa chair. Ainsi dans l’eucharistie, nous ne consommons pas du pain mais nous communions au Christ, nous ne mangeons pas de la matière mais nous participons à la vie divine qui rayonne dans la matière du pain. Ainsi, nous ne sommes pas nourris par le pain qui est putrescible mais par la vie divine qui vivifie. C’est pourquoi les Pères de l’Eglise ont qualifié l’eucharistie de remède d’immortalité. Dans l’eucharistie, la mort est vaincue. Il n’y a que vie, vie éternelle. Dans l’eucharistie, Dieu incarné puis crucifié et ressuscité se donne à nous comme « pain vivant descendu du ciel » pour nous apporter la vie (Jean 6/33).

Ainsi, nous pouvons mieux saisir les paroles mystérieuses du Christ rapportées par l’apôtre Jean : « En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle…Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » Jean 6/53-56.

Ces paroles ont été occasion de chute pour les uns et fondatrices pour d’autres; c’est dans ces paroles que s’enracine le mystère eucharistique.
Dans l’eucharistie, Dieu comble le désir fondamental de l’homme qui est désir de participer de la vie divine. En communiant au corps et au sang du Christ, nous devenons co-corporel et co-sanguin avec le Christ, nous participons de sa vie immortelle, nous sommes un avec lui.

Le sacrement

Le sacrement nous révèle avant tout le caractère mystérieux de la création qui est dans son fondement incorporation de la parole divine. L’univers est le temple de sa Présence. Toutes choses peuvent être reçues comme don de Dieu tels : l’eau, l’huile, le vin et le pain. C’est cette perception sacramentelle du cosmos qui imprègne toute la tradition liturgique et spirituelle de l’Eglise orthodoxe : le monde n’a de sens que lorsqu’il est le sacrement de la Présence de Dieu. Le sacrement de l’eucharistie signifie le don de la vie divine par et dans les espèces matérielles.

Les sacrements sont des moyens créés qui apportent la grâce incréée de Dieu. Ils sont porteurs des dons de Dieu. Or, tout ce qui existe est don de Dieu à l’homme et n’existe que pour faire connaître Dieu à l’homme, pour faire de la vie de l’homme une communion avec Dieu.

« Le monde est donné par Dieu et lui est donné comme communion avec Dieu… il est l’amour divin fait nourriture, fait vie pour l’homme. Dieu bénit tout ce qu’il crée et dans le langage biblique, cela veut dire qu’il fait de la création toute entière le signe et le moyen de sa Présence, de sa sagesse, de son amour et de sa révélation. Voyez et goûtez combien le Seigneur est bon » A. Schmeman ; Pour la vie du monde, Ed DDB p14.

Le monde a été créé comme lieu de dialogue et lieu d’une eucharistie universelle, lieu d’une communion ininterrompue avec Dieu. Les mystères signifient que tout est perçu dans la relation à Dieu. Le péché est la rupture de cette relation et avec elle de cette perception sacramentelle. A l’origine Adam percevait tout en Dieu par l’Esprit Saint. Après la chute, tout est chosifié. Les choses sont perçues en elles-mêmes, en dehors de la relation à Dieu. Ne voyant plus le cosmos comme un don, l’homme oubli le Donateur. Le monde déchu ne sait plus que Dieu est « tout en tous ». L’homme en exil de Dieu ne voit plus le monde comme un miroir, comme une « image transparente de Dieu » mais comme une fin en soi, comme une réalité opaque, close sur elle-même. Il ne le voit plus comme traversé par la Présence de Dieu. L’homme ainsi enténébré, enfermé dans les apparences, dans l’extériorité du monde ne loue plus Dieu car il ne reconnaît pas en tout ce qui existe, un don de Dieu.

Il croit que l’air que l’on respire, la nourriture, l’eau portent en eux-mêmes la vie alors qu’ils ne sont que des lieux de révélation, des signifiants de la vie, que l’apparence de la vie. La preuve en est que l’air se vicie, la nourriture moisit et l’eau finit par croupir. Sans le souffle de vie, sans le Logos qui informe et nourrit, tout se dégrade et se décompose.

La vie apparente est la vie fonctionnelle, cyclique qui a pour fin la mort. La vraie vie est incarnation de sa Présence, elle est rayonnement de sa Présence dans la chair du monde. La vraie vie est la vie eucharistique qui est communion à la Présence réelle sous les apparences (le voile) des signifiants de la vie.

Le message ultime que le Christ donne juste avant de monter sur la croix est l’institution de la Sainte Cène, le jeudi soir, la veille de la crucifixion. L’ultime initiation est l’eucharistie.

Il invite ses disciples à communier à son corps sous l’apparence du pain et à son sang sous l’apparence du vin. Le pain est un élément cosmique qui vient du blé transformé par le travail de l’homme. Le vin est un élément cosmique qui est issu du raisin fermenté et devient du vin par le travail de l’homme. Le pain et le vin, qui sont symboliques de toute nourriture, sont le fruit d’une œuvre divino-humaine. Ils sont les deux principaux signifiants de la vie. Le Christ invite à communier par les substances matérielles du pain et du vin à son corps et à son sang : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Le verbe « être » est puissance d’identification. L’eucharistie est essentiellement communion à la vie divine donnée par le pain et le vin. Le cosmos est vie divine rendue comestible ou selon la formule du théologien orthodoxe Paul Evdokimov : « amour de Dieu rendu comestible ». Le dynamisme de la vie rend vivant l’univers matériel qui sans ce souffle serait réduit au néant. Ce n’est pas la matière qui produit la vie mais la vie qui génère ce que nous appelons la matière.

 

Le soir de la Sainte Cène, le Christ met en évidence la réalité sacramentelle du cosmos. Il introduit ses disciples dans une autre contemplation, dans un dynamisme de communion à la vie divine par les éléments cosmiques. La communion signifie aussi l’interdépendance entre ceux qui communient, ceux qui participent à la même vie divine. Elle dit finalement le caractère sacré de toute vie. C’est pourquoi, s’il est essentiel d’être vivifiés par la nourriture sacramentelle lors de la liturgie, il devient urgent d’accéder à une conscience eucharistique. Selon cette conscience, ce n’est pas la matière qui nous nourrit mais la vie infusée dans la matière. La matière par elle-même est vouée à la dégradation, à la décomposition et finalement à la mort. L’eucharistie est offerte pour la vie éternelle, elle est communion à la vie divine immortelle par les substances sacramentelles et nous invite à quitter un rapport de consommation et de dévoration lié à la chosification, à l’objectivation du monde. L’objet est une substance coupée de la vie, en ce sens, il est une réalité morte.

Cette articulation vie/mort est présente au cœur de la Sainte Cène. Le pain donne vie à ceux qui accueillent le don, il devient occasion de chute pour Judas qui refuse ce don ou plutôt le détourne pour un profit financier. La perception eucharistique du monde ouvre sur la plénitude de vie et nourrit intérieurement. Au contraire, la chosification du monde représentée par l’argent, conduit à la mort.

En Christ, le monde devient eucharistie. Le Christ a apporté une vie nouvelle, il a ré-ouvert l’espace sacramentel afin que l’homme puisse participer à la vraie vie, à la vie éternelle.

Le Père Alexandre Schmemann (1921-1983) affirme : « Le Christ est la fin de toute religion.

La religion est nécessaire quand il y a un mur qui sépare Dieu de l’homme. Mais le Christ,

qui est à la fois Dieu et homme, a renversé le mur qui les séparait. Il a apporté une vie

nouvelle, non pas une religion nouvelle. Il est le pain de vie descendu du ciel venu pour

nourrir tous ceux qui ont faim d’absolu, faim et soif d’amour, faim et soif d’éternité:

«Quiconque boit de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif et l’eau que je lui donnerai

deviendra en lui source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle » Jean 4:14. In Pour la vie du monde, éd DDB p. 20, 21.

Pour une culture de l’attention

Dans le Souffle de l’Esprit, tout est signifiant, ce monde est allusif, il est un espace dialogal, le lieu d’un immense dialogue entre Dieu et l’homme. Ce qui appelle une ouverture du regard et une culture de l’attention. Laquelle a été très négligée dans les milieux chrétiens à cause de la perte de conscience du cosmos comme Buisson Ardent. Pour les pères du premier millénaire, l’attention est la clé et le nerf de toute vie spirituelle. Un être spirituel est un être attentif qui recueille partout des significations. Voyant dans le cosmos un espace dialogal, il sait vivre celui-ci comme une échelle vers Dieu. Il est donc éveillé et perçoit plus que le visible et le palpable. Il est entré dans un univers relationnel où tout est symbolique.

Retrouver le sens sacramentel du cosmos

La création toute entière est en attente de la révélation de l’homme comme fils de Dieu (Rom 8/19). Cette révélation déclenche le dynamisme de la transfiguration du monde et l’humanisation progressive de la nature. L’urgence écologique est avant tout spirituelle. Hors de ce processus, l’écologie militante est certainement nécessaire mais insuffisante. En ce temps, nous sommes plus que jamais appelés à une « métanoïa », à une réorientation de l’homme vers la lumière pour une transfiguration de la matière. Il nous faut redécouvrir la dimension cosmique du Christ, le cosmos comme Buisson Ardent, comme incorporation de la Parole divine, sacrement de la Parole puis sacrement de Sa Présence. Par l’acte de création, le cosmos est sacrement de la Parole. Par l’incarnation du Christ, il est devenu sacrement de Sa Présence. Ouverture sur la vision eucharistique du cosmos. Un théologien grec Nikos Nissiotis affirme : « Dieu a créé le monde pour s’unir à l’humanité à travers toute la chair cosmique devenant chair eucharistique » (Terre p68). Car il y a en toute chose un mode de la Présence mystérieuse de Dieu…

Le sacrifice d’action de grâce

Eucharistie est la traduction du mot grec qui signifie merci. La reconnaissance du cosmos comme don nous situe dans une attitude de gratitude et d’émerveillement et nous ouvre sur la dimension dialogale de l’univers. Dans cette perspective, la liturgie eucharistique est un office d’action de grâce dans la reconnaissance des grâces reçues.

Nous avons vu que la création est un don de Dieu, que la révélation biblique est aussi don de Dieu et que dans les derniers temps, Dieu incarné en Jésus-Christ a fait don de sa vie. Dans la liturgie, le chrétien reconnaît les dons de Dieu et célèbre une action de grâce, il glorifie Dieu pour tous ces dons. Il dit « merci ». Cela signe l’attitude du chrétien que nous pourrions nommer « attitude eucharistique » qui consiste à être attentif aux grâces divines et à remercier Dieu en tout et pour tout. Pour le chrétien tout est don et tout est grâce. En ce sens l’eucharistie est la réponse plénière au don de la vie et de la création. Par l’eucharistie, le chrétien entre dans une réciprocité d’amour avec Dieu, il atteste le don de Dieu et lui rend grâce. Celui qui incarne pleinement cette action de grâce, c’est le Christ qui se tient devant le Père comme un être eucharistique : « c’est Lui qui offre et qui est offert, qui reçoit et qui distribue »Parole de la Liturgie orthodoxe. La seule offrande véritable, c’est le Christ. Toutes choses sont en Lui, par Lui et pour Lui. L’offrande de notre vie signifie que nous ne vivons plus pour nous-même mais pour Lui, car c’est Lui qui nous donne la vie. « Nous Lui offrons ce qui est sien proclamant d’une façon harmonieuse la communion et l’union de la chair et de l’Esprit. Car de même que le pain qui vient de la terre après avoir reçu l’invocation de Dieu n’est plus du pain ordinaire mais l’eucharistie constituée de deux choses, l’une terrestre et l’autre céleste, ainsi nos corps qui participent à l’eucharistie ne sont-ils plus corruptibles, puisqu’ils ont l’espérance de la résurrection. » Saint Irénée de Lyon ; Contre les hérésies IV/18-5. C’est en lui que nous nous inscrivons dans la réciprocité d’amour avec le Père.

Faire eucharistie en toutes choses

Saint Paul dans cet élan nous invite à « faire eucharistie en toutes choses » 1Th.5/18.
Faire eucharistie en toutes choses signifie rendre grâce en tout et pour tout. « c’est à votre égard la volonté de Dieu en Jésus-Christ » précise l’apôtre Paul (1Th 5/18).
Cette attitude suppose tout d’abord d’être attentif aux grâces reçues, aux interventions divines dans notre vie puis d’exprimer un élan de gratitude, d’action de grâce. La vie est don, l’amour de Dieu rayonne continuellement dans le monde, en prendre conscience est le premier pas sur le chemin de l’émerveillement et de la louange. C’est là le fondement de la prière.
Faire eucharistie en toutes choses a aussi le sens de célébrer la présence du Christ en tout être humain créé à l’image de Dieu. Chaque personne humaine est un lieu eucharistique que nous devons respecter comme présence réelle du Christ. A l’eucharistie comme sacrement de l’autel correspond l’eucharistie comme mode de vie et de relation. La Parole de Dieu, par la loi et les prophètes, nous invite à nous aimer les uns les autres ; l’eucharistie nous ouvre sur le mystère du Christ en l’autre. Un apophtegme des Pères du désert dit : « tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu ».
L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont un (1 Jean 4/20-21). Aimer Dieu c’est aimer l’homme. Servir l’homme, prendre soin du pauvre, des plus démunis sont la meilleure manière de rendre un culte à Dieu.

Le chrétien est celui qui sait reconnaître le don de Dieu et dire merci. La liturgie eucharistique célèbre la vie qui nous est donnée par le Christ dans l’Esprit Saint. Elle est une immense louange adressée au créateur pour tout ce qui nous est donné : « Qu’as tu que tu n’aies reçu ».

L’Eglise, assemblée eucharistique nous fait accéder à l’expérience d’une vie nouvelle qui est essentiellement action de grâce. Elle fait de nous des Etres eucharistiques en communion les uns avec les autres pour la vie du monde.

Père Philippe Dautais