Guerison Et Salut

Sainte Croix centre d'étude et de prière orthodoxe

1- GUERISON ET SALUT pdf

Depuis quelques décennies, à la faveur du renouveau charismatique, les
pratiques de guérison se sont multipliées, des rassemblements en vue de la
guérison se sont organisés avec un certain succès mais non sans quelques
débordements ni certaines déviations. Face à une telle vague, il semble bon
de rappeler l’expérience des chrétiens des premiers siècles et leur rapport à la
guérison et au salut.

Jésus signifie « Dieu sauve » mais aussi « Dieu guérit ». Le mot « sotério » en
grec signifie ces deux acceptions, même si nous devons préciser que le salut
inclut la guérison.
Si, en occident, la notion de rachat juridique s’est beaucoup développée, l’orient
a été plus sensible au Christ médecin des âmes et des corps car c’est afin d’être
guéris que ses contemporains sont allés vers lui. Dans les Evangiles, nous
voyons Jésus opérer de multiples guérisons et s’annoncer lui-même comme
médecin (Mat 8/16-17 ; Marc 2/17 ; Luc 4/18 et 23).
Déjà, les prophètes l’annonçaient comme tel, en particulier Isaïe : « ce sont
nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé et
c’est par ses plaies que nous avons été guéris » Isaïe 53/4-5. Isaïe parle de la
venue du Messie au passé, comme si, ce qui chronologiquement appartient au
futur est déjà accompli. La venue du Christ concerne tous les temps et tous les
espaces. Il est présent aujourd’hui comme il y a 2000 ans. La guérison concerne
toute l’humanité. Les guérisons décrites dans les Evangiles ne sont que les
signes tangibles d’une restauration en profondeur de la nature humaine. Nous
rejoignons ici la notion de salut qui est accessible à chacun par le moyen de la
foi. Pour autant, cela ne signifie pas que la guérison physique puisse revêtir un
caractère automatique, elle reste un mystère. Jésus est libre de guérir, Il agit
selon sa sagesse.
Nous pouvons rappeler ici l’exemple du Père Emiliano Tardif, bien connu dans
les milieux du Renouveau, qui avait un merveilleux charisme de guérison. Pour
autant, si à chaque assemblée eucharistique, plusieurs venaient rendre grâce pour
une guérison, beaucoup repartaient sans avoir ressenti quelque amélioration.
Le Père Tardif avouait lui-même n’être qu’un instrument du Seigneur et ne pas
savoir pourquoi untel était guéri et non un autre.

Dans les récits rapportés par les évangélistes, nous pouvons mettre en évidence
trois éléments principaux que nous allons développer dans le cadre de cet article:
– 1- La guérison a toujours lieu au sein d’une relation personnelle. Le Christ
refuse de faire un miracle pour un miracle (Mat 12/39). Il renvoie à la
nécessité de descendre dans la profondeur du cœur pour une conversion
intérieure.
– 2- Jésus interroge le désir de guérir : veux-tu guérir ? Marc 10/51. Il
attend la sollicitation de la personne ou de ceux qui l’accompagnent. La
guérison est liée au désir (Mat 15/28).
– 3- La guérison est certainement le fruit de la grâce divine, cependant
le Christ met l’accent sur la foi de la personne atteinte de maladie ou
d’infirmité : « Va, ta foi t’a sauvé (guéri) » Mat 9/22, Marc 5/34; 10/
52. Luc 7/50 ; 8/48 ; 17/19 ; 18/42. C’est donc par la foi en Lui que les
personnes peuvent trouver une entière guérison (Actes 3/16).

1- Le salut et la guérison passent par une relation personnelle. Jésus Christ est
entré dans une relation personnelle avec chacun de ses disciples, avec chacun
de ceux qui sont venus vers Lui. Dans cette relation, il a manifesté l’amour de
Dieu pour chaque être humain : « si tu savais le don de Dieu » Jean 4/10. La
guérison consiste avant tout dans l’accueil de cet amour, c’est ce que le Christ
fait comprendre à la femme samaritaine. Ainsi, des dix lépreux qui ont été guéris
physiquement (Luc 17/11-19), un seul, un étranger, a rendu grâces et manifesté
par cela même la guérison de son âme.
C’est toujours dans une relation personnelle que nous avons été blessé et c’est
par et dans une relation que nous pouvons guérir. Fondamentalement, nous
aspirons à être aimé et à aimer. Jésus sauve par son regard d’amour qui restitue
la personne dans sa dignité de fils de Dieu.
Dans toute démarche de guérison, il est avant tout nécessaire de rappeler ce
fondement de la vie chrétienne. Nous avons dit plus haut que la guérison est un
signe de l’amour de Dieu, elle vient stimuler notre foi, c’est pourquoi le Christ
sanctionne la guérison par cette parole : « va, ta foi t’a sauvé » Luc 11/19.
En dehors de ce fondement, d’une manière ou d’une autre, la guérison, si elle
a lieu, risque de revêtir un caractère magique. C’est là qu’apparaissent toutes
les dérives notamment par la volonté d’obtenir un résultat, de faire valoir
l’efficacité de notre prière, de soumettre Dieu à notre volonté. Le danger est
la récupération par l’égo de la puissance guérissante de Dieu. Cela se traduit
par des paroles de science abusives, par la culpabilisation des personnes qui
ne sont pas guéries, par des motivations non justes, notamment le désir de se
faire valoir. La démarche de guérison demande donc beaucoup d’humilité, de
s’effacer devant le Seigneur et de s’en remettre à sa volonté et à sa sagesse.

2- Certainement, le salut (la guérison) vient par la grâce (Eph. 2/8). Il
s’actualise en nous par la foi, par la juste disposition du cœur. La grâce est
donnée gratuitement, encore faut-il lui laisser la capacité d’agir. Le Christ
nous montre dans la parabole du semeur que la fécondité dépend et de la
semence et du terrain d’accueil. La semence divine va éclore selon la qualité
du terreau du cœur (Mat 13/4-8 et 18-23). Toute la tradition philocalique,
cœur de la spiritualité de l’Eglise orthodoxe, va insister sur la sainte synergie,
dialogue divino-humain ou rencontre de la grâce divine et de la liberté
humaine. On ne peut sauver l’autre malgré lui. C’est pourquoi les anciens, en
particulier les Pères du désert ont mis l’accent sur la purification du cœur ou
purification du désir. Nous pouvons y associer la purification des motivations.
Ils invitent ici à une véritable conversion du cœur dont le but est la vision de
Dieu : « bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu » Mat 5/8. Le but est de
reconnaître le Messie en Jésus, la grâce divine dans la guérison.
Cette démarche de purification s’appelle praxis. Elle consiste en une purification
des passions et une réorientation du désir.
A l’origine, au plus profond de nous-même, le désir est aspiration à la vie en
communion d’amour avec Dieu, il est désir de Dieu. Détourné de cette finalité, il
se tourne vers les réalités sensibles et immédiates et s’éclate dans la multiplicité
des désirs extérieurs. Le désir devient aliénation aux objets de ce monde et
moteur de la société de consommation. Non pas que le monde soit mauvais
mais le rapport d’aliénation, d’asservissement. Les passions (ainsi nommées
car détournement de la passion d’amour originelle) sont des déviations du désir
(qui nous rendent esclave du monde comme le drogué est esclave de la drogue).
Elles s’expriment sur 3 registres : jouissance, possession, puissance (voir
Genèse 3/6 : bon à manger = jouissance ; désirable pour la vue = possession ;
précieux pour ouvrir l’intelligence = puissance. Puis Luc 4/ 1-13 où le Christ
réouvre le chemin du Royaume par sa réponse à cette triple tentation qui
récapitule toutes les formes de déviations selon ce qu’il est écrit : « après avoir
épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna »).
Ces passions ne sont pas sans résonnance avec les blessures de notre âme. C’est
pourquoi le chemin de la guérison intérieure commence par la purification de
nos mémoires. L’Esprit Saint nous vient en aide pour nommer les racines de
nos blessures afin de nous libérer des déviations qu’elles ont opérées en nous.
Il est essentiel de revisiter notre histoire, de nommer ce qui nous a fait mal et
de prendre conscience des mécanismes de défense, des murs de protection que
nous avons mis en place pour ne plus souffrir. Notre aspiration à être aimé et
à aimer a été blessée. Maintenant ces blessures faussent notre relation à Dieu.
Nous avons perdu confiance, l’amour nous fait peur et nous cherchons des
compensations dans le monde face à l’angoisse de ce manque d’amour.
Le oui à la vie qui fonde toute démarche de guérison passera par la recherche
d’une relation d’aide, le oui à la vie est oui à la relation. La tentation de
s’enfermer sur soi-même est mortifère, le non à l’autre est un non à la vie. Le
salut vient par l’autre, c’est la pédagogie de l’évangile.
C’est donc par un accompagnement dans l’amour que nous pourrons retrouver
un climat de confiance et nous ouvrir à nouveau à l’amour de Dieu. Nous avons
besoin d’être accueilli, écouté, de pouvoir dire nos blessures, nos souffrances
sans être jugé. Certes, les bons conseils peuvent aider mais, avant tout nous
avons besoin d’être aimé, de retrouver une confiance en nous même, en Dieu,
en l’autre pour assumer avec responsabilité les difficultés de notre existence.
L’accompagnant a pour vocation d’éclairer notre conscience, de nous conduire
vers la maturité, la responsabilité et la liberté intérieure, de faire de nous un
disciple du Christ non de nous rendre dépendant. Un écoutant suscitera la
confiance et éveillera la qualité d’écoute de l’accompagné qui pourra ainsi entrer
dans l’esprit de l’obéissance.
Le but de ce chemin de purification du cœur est l’a-pathéia (état de non
pathologie, libération de tout rapport passionnel) ou acquisition de la liberté
intérieure, devenir libre pour aimer en vérité « de tout son cœur, toute son âme,
de toutes ses forces ».
Il consiste à se libérer :
– de l’esprit de possession, de toute convoitise, avidité, cupidité, avarice.
– de l’esprit de jouissance : de toute aliénation affective, sentimentale, de
tout plaisir égocentrique où l’on recherche sa propre satisfaction à travers
l’autre.
– de toute volonté de puissance, de domination, de contrôle, de la certitude
d’avoir raison contre l’autre, de la volonté de se libérer par soi-même.

L’enjeu majeur est la conquête de l’intégrité du cœur (appelée chasteté), de
l’unité intérieure, de l’unification de l’âme divisée par ses désirs contradictoires
(Voir Romains 7 et 8). Cette conquête passe par la simplicité-humilité appelée
pauvreté en esprit qui seule permet de se confier, mieux, de s’en remettre à
l’autre dans la confiance et l’écoute puis dans l’obéissance (qui signifie être
selon l’écoute).

3- Lors du chapitre précédent, nous avons mis en évidence le processus qui
conduit vers la pleine restauration de la confiance. Confiance qui s’éprouve dans
l’accompagnement et restaure la confiance en soi et la confiance en Dieu. Le
Christ lui-même montre que la guérison est liée à cet état de confiance par la
parole adressée à ceux qui sont guéris : « Va, ta foi t’a sauvé (guéri) » Mat 9/22,
Marc 5/34; 10/52. Luc 7/50 ; 8/48 ; 17/19 ; 18/42. C’est donc par la foi en Lui,
par une pleine confiance que ces personnes ont été guéries. « C’est par la foi
(confiance en l’amour et en la miséricorde divine) que l’homme est sauvé » dit
Saint Silouane de l’Athos. En grec le mot pistis est traduit indifféremment par
foi ou confiance.
Certes, nous croyons en Dieu et croyons en son amour. Croire en Dieu est une
chose, avoir foi en est une autre (voir Marc 9/24 : « Je crois, viens au secours
de mon manque de foi ». La croyance est une adhésion intellectuelle, la foi est
conjointement un don de Dieu et un mouvement du cœur. Le cœur est le lieu de
l’intégrité personnelle, c’est dans le cœur que se réalise l’unité de la personne.
La qualité de la foi dépend de cette unité. Le Christ, dans son enseignement sur
la foi, met en évidence ce caractère d’unicité en appelant à une foi qui ne doute
pas ou n’hésite pas : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »Mat 14/
31.
Jésus leur répondit : «En vérité je vous le dis, si vous avez une foi qui n’hésite
point, non seulement vous ferez ce que je viens de faire au figuier, mais même si
vous dites à cette montagne : « Soulève-toi et jette-toi dans la mer », cela se fera.
Et tout ce que vous demanderez dans une prière pleine de foi, vous
l’obtiendrez ». Mat 21/ 21-22. Interpellés par une telle exigence, les apôtres
dirent au Seigneur: «Augmente en nous la foi.» Luc 17/5.

Nous pouvons certainement nous associer aux apôtres pour adresser cette
prière à Dieu, sans oublier de cheminer, par la grâce de Dieu et dans une sainte
synergie, vers l’unité intérieure, l’intégrité du cœur afin de vivre pleinement la
liberté glorieuse des enfants de Dieu.

P. Philippe Dautais