Le sens chrétien de la personne
En tradition chrétienne, la notion de personne est centrale. Elle est au cœur de la théologie chrétienne qui contemple un seul Dieu (une seule nature divine) en trois personnes et considère les deux natures humaine et divine unies sans confusion dans la personne de Jésus-Christ. Elle met ainsi en évidence l’articulation entre les notions de nature et de personne.
PERSONNE ET INDIVIDU
La personne, selon l’usage courant, s’identifie à l’individu, or ces deux notions sont très différentes dans l’anthropologie chrétienne.
L’individu est une partie indivise de la nature, l’être naturel. Il est une catégorie sociologique et biologique qui appartient entièrement à la nature, il est déterminé par l’hérédité aussi bien génétique que sociale. Il se distingue par opposition, délimitation et isolement. L’individu s’isole, il tend vers l’auto- justification. Il fait nombre avec les autres et se décline sur le mode quantitatif.
La personne est d’ordre spirituel, elle n’appartient pas aux catégories de ce monde. Elle est tout le contraire de l’auto affirmation égoïste. Elle dit l’être humain comme sujet et être de relation. Au sens théologique, la personne est le fruit d’un appel de Dieu qui fonde sa réalité d’être. Nous trouvons là une correspondance entre la personne et le nom secret, inscrit sur le caillou blanc (Apocalypse 2/17). C’est ce nom dont parle le prophète Isaïe : « Le Seigneur m’a appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon nom » (49/1 voir aussi 45/3). Nom qui est la marque de l’unicité de la personne. En tant que personne, chacun est unique, irréductible aux autres et n’admet aucune comparaison. « Le mystère de l’existence de la personne consiste justement dans le fait qu’elle est irremplaçable, unique, incomparable » affirme Nicolas Berdiaev. Laissons la parole à Martin Buber, juif hassidique, qui exprime merveilleusement cette dimension d’unicité : « Avec chaque homme, vient au monde quelque chose de nouveau, qui n’a pas encore existé, quelque chose d’initial et d’unique… Dans chaque être, il est un trésor qui ne se trouve en aucun autre »(le chemin de l’homme p19).
LA PERSONNE EST RELATION
La personne fait son apparition en entrant en rapport avec les autres personnes. La personne vit et advient par la relation, elle trouve son épanouissement dans la communion des personnes. Elle est la possibilité d’articuler l’identité singulière et la relation à l’autre, de s’ouvrir à l’autre sans se perdre soi-même, de se découvrir comme sujet singulier par la relation à l’autre. Il est difficile de définir ce qu’est une personne mais on peut apprendre à connaître une personne en entrant dans une relation avec elle et apprendre à se connaître soi-même comme personne en entrant en relation avec l’autre.
AVENEMENT DU SUJET
Pour les chrétiens, se découvrir en tant que personne, c’est advenir comme sujet libre et responsable de sa propre histoire. Ce qui correspond à cette parole que Dieu adresse à Abraham : « Va vers toi » (Gen 12/1). Si la personne est le fruit d’un appel de Dieu, se réaliser comme personne c’est co-respondre à cet appel, s’ajuster à cet appel, ce qui constitue le sommet de l’accomplissement humain, le but de la vie chrétienne. Le salut s’identifie à la réalisation de la personne en l’homme. Le but du salut est que la vie personnelle, réalisée en Dieu dans la Trinité, se réalise aussi au sein de l’existence humaine. L’homme en Christ est un homme parfait seulement en tant que personne, c’est à dire en tant qu’amour et liberté. L’homme parfait est seulement celui qui est vraiment une personne.
Dans l’existence, nous ne rencontrons pas l’humanité mais des personnes humaines. Hors de la dimension de la personne, la réalité de la nature humaine est une abstraction. La personne est le mode d’existence de la nature, elle met en mouvement d’une manière unique ce qui appartient à la nature commune. La nature humaine s’exprime dans la multiplicité des personnes uniques, elle prend visage dans ces personnes. Dans chaque personne on voit la nature humaine tout entière. Détruire une personne humaine, c’est commettre un meurtre contre toute l’humanité.
LE MYSTERE DU VISAGE
Le mystère de la personne n’a d’équivalent que le mystère du visage. Il est insondable et infini, il échappe à toute saisie. Je conclurai avec une citation de Nicolas Berdiaev :
« Le christianisme exalte l’homme, voit en lui l’image de Dieu, le déclare porteur d’un principe spirituel qui l’élève au dessus du monde naturel et social et lui attribue une liberté spirituelle. Le triomphe du principe spirituel signifie, non la soumission de l’homme à l’univers, mais la révélation de l’Univers dans la personne. La personne est l’horizon sur lequel se révèle la vérité de l’être ».